Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a proclamé dimanche sa victoire totale aux élections municipales en Turquie, malgré des mois de critiques et de scandales, et aussitôt promis à tous ses ennemis de leur en faire «payer le prix».

Au soir du large succès de son Parti de la justice et du développement (AKP), l'homme fort du pays a repris sa rhétorique agressive de campagne pour s'en prendre à l'opposition et surtout aux «traîtres» de l'organisation de l'imam Fethullah Gülen, qu'il accuse de comploter contre son régime.

«Le peuple a aujourd'hui déjoué les plans sournois et les pièges immoraux (...) ceux qui ont attaqué la Turquie ont été démentis», a-t-il paradé devant des milliers de partisans en liesse réunis devant le quartier général de l'AKP à Ankara.

«Il n'y aura pas d'État dans l'État, l'heure est venue de les éliminer», a poursuivi le chef du gouvernement face à la foule brandissant des drapeaux du parti, qui a repris en coeur «la Turquie est fière de toi» ou encore «Dieu est grand».

Après le dépouillement de plus de 80% des suffrages exprimés, les candidats de l'AKP sont arrivés nettement en tête en recueillant 45% des suffrages, largement devant ceux de son principal concurrent, le Parti républicain du peuple (CHP), avec 28%.

Comme l'a suggéré le ton de ce discours, cette victoire sans appel devrait convaincre M. Erdogan, 60 ans, à se présenter à l'élection présidentielle d'août prochain, disputée pour la première fois au suffrage universel direct.

Pour parfaire ce triomphe, le parti au pouvoir, qui a remporté toutes les élections depuis 2002, a également conservé le contrôle de la plus grande ville du pays, Istanbul. Il devait faire de même avec la capitale Ankara, même si l'opposition continuait au coeur de la nuit à lui contester la victoire.

«Ces chiffres montrent qu'Erdogan a survécu aux scandales sans trop de dommages», a commenté à l'AFP le politologue Mehmet Akif Okur, de l'université Gazi d'Ankara.

«Les électeurs ont pensé que si Erdogan tombait, ils tomberaient avec lui», a poursuivi M. Okur, «quelles que soient les accusations de corruption qui pèsent sur lui, ils ont soutenu Erdogan pour garder le statut qu'ils ont acquis sous son règne».

Nouvelles tensions

Après douze ans d'un pouvoir sans partage à la tête de la Turquie, le Premier ministre confirme, avec ce succès, qu'il reste le personnage le plus charismatique du pays mais aussi le plus controversé: acclamé par ceux qui voient en lui l'artisan du décollage économique du pays, mais peint par les autres en «dictateur» islamiste.

Encore au faîte de sa puissance il y a un an, le «grand homme», comme l'appellent ses partisans, le «sultan», comme le moquent parfois ses rivaux, a subi une première alerte en juin 2013, lorsque des millions de Turcs ont exigé sa démission dans la rue.

Depuis plus de trois mois, il est à nouveau sérieusement mis à mal par de graves accusations de corruption qui éclaboussent tout son entourage.

M. Erdogan a contre-attaqué en durcissant son discours pour mobiliser son camp contre ses ex-alliés du mouvement Gülen, soupçonnés d'avoir formé un «État parallèle».

Cette lutte fratricide a culminé jeudi avec la diffusion sur les réseaux sociaux du compte-rendu d'une réunion où le ministre des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu et le chef des services de renseignements (MIT) Hakan Fidan évoquent une entrée en guerre de la Turquie contre la Syrie, sans cacher leurs arrières-pensées électorales.

Malmené par ces révélations, le gouvernement a répondu par des purges et des mesures autoritaires, notamment le blocage de Twitter et de YouTube qui lui a valu une avalanche de critiques, en Turquie comme à l'étranger.

«Notre démocratie doit être renforcée et nettoyée», a répété en votant dimanche le président du CHP Kemal Kiliçdaroglu.

Malgré les appels au calme réitérés dimanche par le chef de l'État Abdullah Gül, la crise politique qui agite le pays semble partie pour se poursuivre jusqu'à la présidentielle, a fortiori si M. Erdogan décide de s'y présenter.

«Ca va mettre en colère les libéraux, les +gulénistes+ et l'opposition laïque», a anticipé Soner Cagaptay, du Washington Institute, «Erdogan va devenir plus autoritaire et la Turquie se polariser, avec des risques d'émeutes».

Loin des enjeux nationaux, les rivalités locales qui marquent régulièrement les élections en Turquie ont fait dimanche au moins 9 morts et une soixantaine de blessés.