L'enjeu est crucial, alors pas question de se laisser «voler» son vote pour éviter toute fraude, des dizaines de milliers de simples citoyens turcs se sont mobilisés, notamment à Istanbul, et joueront dimanche les observateurs lors du scrutin municipal.

En matière de sécurité et d'honnêteté électorales, la réputation de la Turquie n'est plus à faire. Mais le tour âpre, violent même, pris ces dernières semaines par le duel qui oppose le premier ministre Recep Tayyip Erdogan à ses adversaires a réveillé les doutes sur l'impartialité de l'État organisateur et la crainte de tricheries.

«Aujourd'hui, les gens ont peur que les élections soient truquées», confie le candidat du principal parti d'opposition à la mairie d'Ankara, Mansur Yavas.

«Ce qui est inquiétant, c'est que le gouvernement lui aussi a exprimé des doutes, alors qu'il est censé garantir la légitimité de la procédure», ajoute M. Yavas, «c'est pour cela que nous comptons sur la société civile pour être encore plus attentive cette fois».

À la pointe des manifestations antigouvernementales de juin 2013, «vétéran» de l'occupation du fameux parc Gezi d'Istanbul, Sercan Celebi a entendu le message. Avec une poignée d'amis, il a fondé l'association «Le vote et le reste» («Oy ve ötesi»), qui se fait fort de surveiller tous les bureaux de vote stambouliotes.

«À Istanbul, il y a 33 000 urnes et 'Oy ve ötesi' va placer un observateur devant chacune d'entre elles», assure-t-il, «notre objectif est que le 30 mars au soir, les électeurs n'aient aucun doute sur la sincérité du scrutin».

En quelques semaines, l'association a dispensé une formation de base à ses observateurs.

Sécurité

«Ce qu'on attend de nos bénévoles, c'est qu'ils récupèrent une copie du procès verbal de chaque bureau de vote et que, le plus vite possible, avec un téléphone portable ou un ordinateur, ils le publient sur internet», explique Volkan Ökten, un des formateurs.

Avocat au barreau d'Istanbul, Hasan Kiliç doit assurer dimanche avec des collègues la permanence juridique de l'association. «Nos bénévoles pourront nous signaler dans la minute toute infraction», dit-il, «et nous mettrons les résultats que nous collectons à la disposition des partis, qui pourront s'en servir en cas de contestation».

L'association «le vote et le reste» se défend de toute affiliation politique, malgré ses sympathies pour le mouvement de protestation antigouvernementale parti au printemps dernier d'une mobilisation contre la destruction annoncée du parc Gezi d'Istanbul.

«Nos bénévoles sont indépendants des partis politiques, il est très important qu'il n'y ait aucun lien entre l'observateur et un parti», assure M. Celebi, «c'est la garantie que le message exprimé dans les urnes sera bien celui qui est proclamé».

Même si le gouvernement a fait savoir que les observateurs extérieurs étaient les «bienvenus» le 30 mars pour s'assurer du bon déroulement du scrutin, les bénévoles de «Ov ve ötesi» s'attendent à des difficultés.

«Notre initiative répond à un besoin», assure Hasan Kiliç, «car les droits et les libertés des citoyens reculent dans notre pays».

«Nous resterons là, du début jusqu'à la fin», renchérit un observateur, Sezaï Coskun. «Si nous voulons mettre un terme à la crise provoquée par les allégations de corruption qui pèsent sur le gouvernement», insiste-t-il, «il ne faut pas que notre vote soit détourné (...) c'est la condition de la démocratie».