La ministre française de la Justice tentait de se dépêtrer jeudi d'accusations d'«espionnage politique» lancées par l'opposition dans le dossier des écoutes de Nicolas Sarkozy, après avoir été prise en défaut sur des déclarations qui ont plongé l'exécutif dans la confusion.

Christiane Taubira, icône du gouvernement de gauche, a-t-elle commis une simple gaffe ou un mensonge d'État, en disant ne pas avoir eu connaissance d'abord de l'existence de ces écoutes, puis de leur contenu?

Tandis que la droite continuait de réclamer sa démission, et que la confusion régnait au sommet de l'État, son camp politique concédait des «maladresses» et s'efforçait de ramener l'attention sur les dossiers judiciaires dans lesquels sont impliqués l'ancien président et plusieurs de ses proches.

«Je préfère une maladresse à des malversations», a lancé le député socialiste Bruno Le Roux sur BFMTV, en estimant que «tout le bruit qui est fait depuis plusieurs jours n'a qu'une seule dimension, essayer de disqualifier la justice».

«Pourquoi parler aujourd'hui de Mme Taubira alors que ce qui est sur la table, ce sont des faits qui sont reprochés à M. Sarkozy?», a demandé le ministre du Travail Michel Sapin sur la radio Europe 1.

Les téléphones de l'ancien président français ont été écoutés dans le cadre d'une enquête ouverte en avril 2013 sur des soupçons de financement illégal de sa campagne de 2007 avec l'argent de l'ex-dirigeant libyen Mouammar Kadhafi. Ces interceptions ont conduit à l'ouverture d'une autre enquête, pour trafic d'influences, M. Sarkozy et son avocat étant soupçonnés d'avoir soudoyé un haut magistrat pour connaître les détails d'un autre dossier judiciaire.

Mercredi, la ministre a alimenté la polémique touchant le gouvernement en brandissant des lettres du procureur financier à ses services datées du 26 février, censées prouver que la justice ne l'avait informée que de l'ouverture d'une enquête pour trafic d'influence, comme il est de règle, mais pas du contenu des écoutes de l'ancien président qui la justifiaient.

Or un zoom sur ces documents a suffi à établir qu'ils évoquaient bien un marché passé entre Nicolas Sarkozy et un haut magistrat.

«Aucun sentiment de lâchage»

«On est en train de m'accuser de connaître le contenu de ces interceptions, de connaître la date à laquelle ces interceptions ont été décidées, d'avoir reçu des synthèses, vous trouvez ça dans ces deux lettres?», s'est-elle défendue jeudi dans un entretien au journal Le Monde.

«Quand ces courriers arrivent, les interceptions ont déjà eu lieu, leur exploitation par les juges aussi. C'est cela, l'espionnage politique qui nourrit le feuilleton?», s'est-elle indignée.

Et elle a ajouté n'avoir «aucun sentiment de lâchage» du premier ministre Jean-Marc Ayrault.

M. Ayrault avait pris le contrepied de sa ministre en reconnaissant que lui et Mme Taubira avaient été informés dès le 26 février des écoutes visant M. Sarkozy. Mercredi, alors que la droite multipliait les appels à la démission de Mme Taubira, il a assuré qu'elle gardait «sa place au gouvernement». «Ce qui n'a pas sa place, c'est la rumeur, c'est la désinformation, c'est le dénigrement», a-t-il ajouté.

La succession de versions contradictoires, alors même qu'aucun manquement à la loi ni aux règles de l'exécutif n'a pour l'heure été mis au jour, a toutefois donné le sentiment d'une totale confusion au sommet de l'État.

Le ministre de l'Intérieur Manuel Valls a ainsi assuré ne pas avoir été informé des écoutes par ses services, mais en lisant la presse, ce qui a provoqué le scepticisme, voire l'ironie d'anciens policiers de haut rang.

«Quel est l'intérêt de ce questionnement sur les dates?», a ensuite demandé Manuel Valls, mettant en cause «une opération de déstabilisation particulièrement grave» de Nicolas Sarkozy et de ses amis qui vise selon lui «à mettre en cause l'indépendance et le travail des juges».

Outre M. Sarkozy, la justice s'intéresse aussi à plusieurs de ses proches : notamment son ancien ministre de l'Intérieur Brice Hortefeux dans le dossier du financement de la campagne de 2007, et le chef du parti de droite UMP pour des soupçons de favoritisme, une affaire qui a entrainé l'ouverture le 5 mars d'une enquête, a-t-on appris jeudi de source judiciaire.