La fille du roi d'Espagne, l'infante Cristina, est entendue samedi par un juge des Baléares qui l'a inculpée de fraude fiscale et a franchi ainsi, malgré les résistances, un pas spectaculaire dans l'enquête qui fait trembler la monarchie.

Dans le bureau du juge José Castro, assise face au portrait accroché au mur de son père Juan Carlos, la plus jeune fille du roi devra expliquer si elle a coopéré avec les faits reprochés à son époux, Iñaki Urdangarin, un ancien médaillé olympique de handball soupçonné de détournement de fonds publics.

Détaillée dans un arrêt de 227 pages signé par le magistrat de Palma de Majorque après des mois d'un travail obstiné, la mise en examen de Cristina, âgée de 48 ans, est tombée comme une bombe : longtemps ultra-protégée, aujourd'hui assaillie par les scandales, la monarchie espagnole découvre qu'elle n'est plus intouchable.

À 76 ans, après 38 ans de règne, Juan Carlos montre le visage d'un roi fatigué, appuyé sur des béquilles après plusieurs opérations de la hanche.

Si «l'affaire Urdangarin» a amorcé il y a deux ans une chute catastrophique de son image, le scandale est venu aussi en 2012 d'une coûteuse escapade au Botswana, pour une chasse à l'éléphant qui a choqué une Espagne meurtrie par la crise.

Ni les excuses alors adressées au pays stupéfait, ni la mise à l'écart de Cristina et son époux de l'agenda officiel n'ont enrayé la tendance : le tabou est aujourd'hui levé en Espagne sur une possible abdication au profit du prince Felipe, qui incarne à 46 ans l'espoir de la monarchie.

Au fil des mois, l'enquête a resserré son étau autour de l'infante. Empêtrée dans le scandale, la Maison royale espère maintenant en finir au plus vite avec ce que son chef, Rafael Spottorno, qualifiait publiquement de «martyre».

«Cette affaire est un énorme problème pour la monarchie depuis le début. Mais quand elle s'est centrée sur le personnage de l'infante, les dommages se sont aggravés, parce que c'était la première fois qu'un membre de la Famille royale devait rendre des comptes à la justice», explique Ana Romero, correspondante du journal El Mundo à la Maison royale.

«Le fait que cette première inculpation ait été bloquée a provoqué un rejet généralisé chez les Espagnols, qui ont alors perçu qu'il existait une inégalité devant la justice», ajoute-t-elle.

Dès le printemps 2013 en effet, une première mise en examen avait été annulée à la demande du Parquet.

Le magistrat s'est alors orienté, toujours contre l'avis du procureur, vers des soupçons de fraude fiscale et blanchiment de capitaux. L'infante aurait puisé pour ses dépenses personnelles dans les caisses de la société Aizoon, qu'elle détient à 50 % avec son époux et qui auraient été alimentées par de l'argent public détourné par ce dernier.

Iñaki Urdangarin, 46 ans, est accusé d'avoir détourné au total, avec son ex-associé, 6,1 millions d'euros (9,1 millions de dollars) de fonds publics.

«Les délits contre le fisc qui sont reprochés à Iñaki Urdangarin auraient difficilement pu être commis s'ils n'avaient pas, pour le moins, été connus et approuvés par son épouse», écrivait le juge Castro.

Pour le Parquet au contraire, «il est impossible que la fraude atteigne le seuil des 120 000 euros (180 000 $)», le montant annuel constitutif d'un délit en Espagne.

Passée au crible par le magistrat, la comptabilité d'Aizoon fait apparaître, à partir de 2004, des dépenses consacrées à la rénovation de la villa familiale, pour 436 703,87 euros (655 361,50 $), ou d'autres, privées, pour 262 120,87 euros (393 364,79 $).

Le juge dresse un volumineux inventaire des dépenses personnelles facturées à Aizoon, certaines anecdotiques. Comme cette facture de juillet 2009 «pour l'achat de vaisselle, pour une valeur de 1741,55 euros (2613,54 $), dont il sera difficile de convaincre du rapport avec les activités d'Aizoon SL».

Ou encore : «Un cours de salsa et de merengue dispensé au domicile familial», «un cocktail pour 81 personnes semble-t-il pour fêter la naissance de l'une des filles du couple»...

Ces fêtes avaient pour cadre la villa achetée par Cristina et son mari en 2004 dans le quartier chic de Pedralbes à Barcelone, mise en vente en 2013 pour 9,8 millions d'euros (14,7 millions de dollars).

Après cette audition, le juge Castro devrait rapidement clore l'instruction ouverte en 2010 : il aura alors toutes les cartes en main pour décider si «l'affaire Noos», du nom de la fondation à but non lucratif présidée entre 2004 et 2006 par Iñaki Urdangarin, débouche ou non sur un procès.