Le gouvernement turc a donné mercredi un nouveau coup de balai au sein de la police et de la justice, soupçonnées de jouer contre lui dans le scandale de corruption qui l'éclabousse, s'attirant une ferme mise en garde de ses partenaires européens.

Après avoir démis de leurs fonctions 350 policiers d'Ankara mardi, le ministre de l'Intérieur Efkan Ala a signé mercredi un nouveau décret congédiant cette fois 16 hauts responsables de la police, dont le chef adjoint de la sûreté nationale et ceux de métropoles-clés comme Ankara, Izmir (ouest), Antalya (sud) et Diyarbakir (sud-est).

Selon le comptage fait par la presse turque, cette nouvelle purge porte à plus de 700, dont de nombreux gradés, le nombre des policiers démis de leurs fonctions depuis la mi-décembre.

Le gouvernement est également passé à l'attaque contre l'une des principales institutions judiciaires, le haut conseil des juges et procureurs (HSKY), qui avait annoncé mardi l'ouverture d'une enquête concernant les «pressions» exercées sur les magistrats chargés du dossier.

Le Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir a ainsi déposé mardi soir au Parlement une proposition de loi visant à renforcer le rôle de l'exécutif au sein du HSKY, chargé de nommer les magistrats, qui sera discutée dès vendredi.

Et le ministre de la Justice Bekir Bozdag a fait savoir qu'il refuserait son feu vert, indispensable, aux investigations souhaitées par l'institution.

«Toute proposition visant à réduire les pouvoirs du HSKY constitue un sérieux coup porté à l'indépendance de la justice en Turquie», a vivement réagi le commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, Nils Muiznieks, sur Twitter.

L'Union européenne (UE) a également haussé le ton en confiant, par la voix du porte-parole de la Commission, Olivier Bailly, son «inquiétude» et en réclamant une enquête «transparente et impartiale» sur les accusations de corruption qui visent le pouvoir.

Toutes les victimes du nettoyage opéré sur ordre du premier ministre Recep Tayyip Erdogan sont soupçonnées d'appartenir à la très influente confrérie du prédicateur musulman Fethullah Gülen, qu'il accuse d'être à l'origine du scandale secouant la Turquie.

En tournée en Asie toute la semaine, M. Erdogan reproche à l'organisation de M. Gülen, qui vit en Pennsylvanie aux États-Unis, d'avoir constitué un «État dans l'État» et ourdi une «conspiration» pour le faire tomber, à trois mois des élections municipales.

Menaces

La décision en novembre du gouvernement de fermer les établissements privés de soutien scolaire, source d'une manne financière pour la confrérie, a mis le feu aux poudres et semé la discorde entre le camp du premier ministre et M. Gülen, pourtant alliés depuis l'accession de l'AKP au pouvoir en 2002.

Réputé proche des réseaux «gülenistes», l'un des procureurs d'Istanbul, Zekeriya Oz, a ainsi été dessaisi de l'affaire et mis en disponibilité.

Ce magistrat est sorti mercredi de son silence pour démentir les informations publiées le weekend dernier par la presse progouvernementale, qui l'accusait d'avoir passé des vacances en famille à Dubaï aux frais d'un magnat de l'immobilier inculpé dans son enquête.

M. Oz en a également profité pour accuser deux «envoyés» de M. Erdogan de l'avoir menacé.

«Ils m'ont dit que le premier ministre était très en colère contre moi. Ils m'ont demandé d'arrêter l'enquête et de lui écrire une lettre d'excuses», a-t-il affirmé devant la presse.

Actuellement en tournée en Asie, M. Erdogan a catégoriquement démenti ces allégations dans un communiqué, dénonçant des «mensonges et des propos diffamatoires».

Outre la justice et de la police, le pouvoir a étendu sa reprise en main de l'appareil d'Etat à toute la fonction publique. Depuis plusieurs jours, de nombreux hauts fonctionnaires des ministères des Finances, de l'Éducation et des Transports ont également été remerciés, selon les médias turcs.

Six mois après les manifestations populaires ayant fait vaciller son régime, ce scandale et les contestations qu'il suscite au sein de son propre camp font peser une menace sur l'avenir politique personnel de M. Erdogan, qui envisage de se présenter à la présidentielle d'août 2014.

Son impact économique inquiète également les milieux d'affaires turcs et les marchés financiers, même si les agences de notation Fitch's et Moody's ont pour l'instant maintenu leur note.