Le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a riposté samedi aux graves accusations de corruption qui menacent son gouvernement en dénonçant une nouvelle fois la justice, ses rivaux et la rue, tous accusés de comploter contre son pays.

Au lendemain d'une série de manifestations organisées dans une dizaine de villes, notamment Istanbul et Ankara, pour exiger sa démission, M. Erdogan, inflexible, a poursuivi sa contre-attaque en mobilisant ses partisans contre les «groupes criminels» qui, a-t-il dit, veulent mettre à bas la Turquie.

Au premier rang de ses cibles, le chef du gouvernement islamo-conservateur a épinglé les magistrats à l'origine de l'enquête qui a abouti à l'incarcération d'une vingtaine de personnalités proches du pouvoir et causé la démission de trois ministres.

«Certains magistrats, malheureusement, agissent de concert avec certains groupes criminels et en collaboration avec certains médias pour mettre en cause des gens innocents», a-t-il déploré.

Sous les acclamations de ses partisans, M. Erdogan a aussi épinglé les «mouvements, médias et cercles d'affaires ou politiques (qui) ont orchestré, depuis la Turquie, ce complot haineux».

Une allusion directe à la confrérie du prédicateur musulman Fethullah Gülen, qu'il soupçonne d'être à l'origine de l'enquête anticorruption qui éclabousse son entourage à trois mois des élections municipales prévues le 30 mars 2014.

Alliée de l'AKP depuis son arrivée au pouvoir en 2002, cette organisation a récemment déclaré la guerre au gouvernement contre son projet de supprimer certaines écoles privées qui assurent une bonne partie de sa prospérité financière.

«Ce sont des organisations terroristes. Ce sont des pirates. Ils pèsent sur notre pays comme un cauchemar», a affirmé samedi M. Erdogan dans son second discours prononcé dans la région de Manisa.

Identique à celle qu'il avait adoptée pour contrer la fronde antigouvernementale qui a fait vaciller son gouvernement en juin, la stratégie de dénonciation de M. Erdogan a été sévèrement critiquée par le chef du principal parti d'opposition.

«Le premier ministre protège ceux qui sont impliqués dans la corruption. Cela signifie qu'il n'est pas le premier ministre de ce pays, mais celui des corrompus», a lâché le président du Parti républicain du peuple (CHP) Kemal Kiliçdaroglu.

Vendredi, trois nouveaux députés ont démissionné de l'AKP pour dénoncer la volonté du gouvernement d'étouffer le scandale en faisant pression sur la justice, portant à cinq le nombre d'élus qui ont claqué la porte de leur camp depuis le début du scandale.

Inquiétudes

Après Bruxelles, le nouveau ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier s'est lui aussi inquiété de la crise qui secoue le sommet de l'État turc. La capacité d'Ankara à élucider l'affaire «aura valeur de test pour toute politique qui se réclame d'un État de droit», a-t-il estimé.

Nommé mercredi soir à la faveur du remaniement ministériel d'urgence opéré par M. Erdogan, le ministre turc des Affaires européennes Mevlut Cavusoglu a tenté samedi de rassurer ses partenaires européens.

«La Turquie s'engage à respecter ses obligations envers l'Union européenne et l'État de droit», a-t-il indiqué dans un communiqué, avant d'inviter l'UE à «se dispenser de commenter l'actualité des affaires intérieures turques qui ont des dimensions politiques».

Vendredi soir, la rue turque a une nouvelle fois grondé contre le premier ministre, ouvrant un nouveau front contre son gouvernement.

La police est intervenue vendredi soir à Istanbul et à Ankara pour disperser plusieurs milliers de personnes qui exigeaient le départ de M. Erdogan.

Les slogans des manifestants, les incidents violents avec les forces de l'ordre, les gaz lacrymogènes et les barricades ont fait ressurgir le souvenir des manifestations d'il y a six mois, notamment autour de l'emblématique place Taksim d'Istanbul.

Selon le barreau local, 70 personnes ont été interpellées vendredi soir par la police dans la plus grande ville de Turquie.

Ces appels à manifester, épisodiques depuis le début du scandale il y a dix jours, ont réuni les mêmes bataillons de jeunes, très politisés, qu'en juin, mais pas encore la foule qui avait alors défié le régime pendant trois semaines.

Le climat délétère suscité par cette crise et l'intransigeance du premier ministre inquiètent sérieusement les marchés financiers.

La monnaie turque a plongé à son plus bas niveau historique vendredi, s'échangeant à 2,1492 livres pour un dollar, et la bourse d'Istanbul reculé toute la semaine.