Emprisonnées en mars 2012 après avoir chanté une «prière punk» anti-Vladimir Poutine dans une cathédrale moscovite, deux membres du groupe Pussy Riot ont bénéficié d'une amnistie et ont été libérées hier matin. Opération charme à la veille des Jeux olympiques de Sotchi? Ou démonstration arrogante de l'omnipotence du président Poutine? Gabrielle Tétrault-Farber est journaliste au journal russe anglophone The Moscow Times. Nous l'avons jointe hier à Moscou.

Q Après la décision du Parlement russe, le 18 décembre, de gracier certains prisonniers politiques, la libération des Pussy Riot n'était qu'une question de temps. Est-ce que cette libération est une bonne nouvelle?

R C'est une bonne nouvelle pour Vladimir Poutine, parce que ça démontre qu'il est tellement en confiance qu'il peut faire sortir ses opposants de prison. Mais ça ne l'est pas nécessairement pour ses opposants. C'est une libération plutôt symbolique pour ces femmes qui devaient sortir en mars après deux ans de prison - deux mois de plus ou de moins, ça ne change pas grand-chose.

Q Quelle est la réputation des Pussy Riot en Russie?

R Le Russe moyen ne les trouve pas tellement sympathiques. La fameuse prestation dans la cathédrale orthodoxe du Christ-Sauveur à Moscou a été perçue comme insultante pour la majorité des Russes. Ce n'est pas une population pieuse en général, mais elle définit son identité en termes orthodoxes. Même si l'Église orthodoxe est probablement corrompue, proche du pouvoir (Poutine est ami avec le patriarche), cette prestation dans la plus grande église orthodoxe du pays, au coeur de Moscou, a été perçue comme une atteinte à l'identité fondamentale de la Russie. Les médias en ont évidemment parlé aujourd'hui, mais les gens, eux, n'en parlent pas. La libération de Mikhaïl Khodorkovski, elle, a fait plus parler. [...] Khodorkovski n'est pas beaucoup plus aimé, mais il suscite plus de sympathie que les Pussy Riot.

Q Certains estiment qu'il s'agit d'une opération de relations publiques à la veille des Jeux olympiques de Sotchi. Qu'en pensez-vous?

R On parle beaucoup de la pression internationale exercée pour libérer les Pussy Riot. Comme cette lettre écrite par Paul McCartney. Mais ça, en fait, Vladimir Poutine s'en fiche. Il peut faire ce qu'il veut. Et puis, il est trop tard pour que la Russie se rattrape auprès de la communauté internationale. Ces décisions n'ont pas été prises pour plaire à la communauté internationale. C'est plutôt pour montrer aux Russes qu'il n'a pas peur.

Q Après la libération de ces célèbres opposants politiques, lesquels sont encore en prison?

R Notamment ceux qui ont organisé les manifestations de mai 2012 contre la réélection de Poutine, comme Sergueï Oudaltsov et Leonid Razvozjaïev. Sortiront-ils aussi de prison? Ce n'est pas clair. Mais la situation évolue très rapidement. La semaine dernière, on avait dit que ni Khodorkovski ni les Pussy Riot ne seraient libérés... C'est une amnistie qui a été qualifiée de restreinte et sélective par des députés de la Douma. Présentement, il y a des procédures judiciaires contre l'ancien ministre de la Défense, qui profitera probablement de l'amnistie. Pourquoi un bureaucrate corrompu sera amnistié alors que quelqu'un qui aurait bousculé un policier resterait en prison? Il y a un sentiment de frustration dans la population.

Q Les deux femmes libérées aujourd'hui ne sautaient pas de joie à leur sortie de prison. L'une d'elles a même dit que si elle avait pu, elle serait restée en prison jusqu'à la fin de sa peine. Elles ne voulaient pas d'une amnistie, elles voulaient un acquittement, puisqu'elles se disent innocentes.

R En effet, c'est Poutine qui gagne. Mais Poutine gagne toujours. Pour elles, sortir de force, c'est reconnaître que Poutine a gagné. Ce n'est pas ce qu'elles voulaient...