L'ex-oligarque et critique du Kremlin Mikhaïl Khodorkovski, gracié après 10 ans de prison et envoyé en exil forcé en Allemagne, a promis dimanche de se consacrer désormais à la défense des prisonniers politiques en Russie.

«Les responsables politiques des pays occidentaux doivent se souvenir, en ayant des relations avec le président Poutine, que je ne suis pas le dernier prisonnier politique en Russie», a déclaré M. Khodorkovski en donnant sa première conférence de presse devant une foule de journalistes à Berlin, à peine deux jours après sa libération.

«Je vais tout faire pour qu'il n'y en ait plus, faire tout ce que je pourrai», a-t-il ajouté, soulignant qu'il consacrerait son temps à cette activité, sous une forme qu'il ne pouvait encore préciser.

L'ex-homme le plus riche de Russie, emprisonné à 40 ans et libéré à 50, est apparu amaigri et ému, le crâne rasé selon la règle en détention en Russie.

«On m'a dit que j'allais à la maison»

Il a confirmé en substance avoir été contraint à un exil forcé.

«Je n'ai pas eu le choix au moment de ma libération», a-t-il souligné.

«Quand on m'a réveillé à 2h00 du matin, on m'a dit que j'allais à la maison», a-t-il poursuivi avec un sourire ironique.

Il a raconté que les gardes pénitentiaires l'avaient accompagné «jusqu'à la fermeture de la porte de l'avion» qui l'a conduit à Berlin avec l'ex-ministre allemand Hans-Dietrich Genscher, qui a oeuvré à sa libération.

Le porte-parole de Vladimir Poutine, Dmitri Peskov a déclaré que Mikhaïl Khodorkovski était libre de retourner en Russie, mais l'ex-milliardaire a mis en doute cette possibilité.

Dans des déclarations à des journalistes russes avant la conférence de presse, il a expliqué être encore en Russie sous le coup d'une condamnation au civil à payer 550 millions de dollars au fisc russe.

Cette condamnation, prononcée après sa première condamnation en 2005 à 8 ans de camp pour évasion fiscale, le vise solidairement avec son associé Platon Lebedev, jugé avec lui. Ce dernier continue de purger sa peine jusqu'en mai.

«Selon la loi russe, cela donne la possibilité de ne pas m'autoriser à quitter le pays», a souligné M. Khodorkovski, qui a exclu de rentrer à Moscou tant que ne serait pas levée cette question.

«On m'a donné un visa d'un an, donc j'ai un an devant moi», a-t-il répondu à un journaliste qui lui demandait s'il allait rester en Allemagne.

Il a par ailleurs souligné qu'il ne se lancerait pas en politique contre le Kremlin, et pas davantage pour la restitution des actifs de Ioukos, son groupe pétrolier qui était le premier du pays et qui a été démantelé au profit du groupe public Rosneft.

Pas de conditions explicites

Il a souligné que ces conditions n'avaient pas été posées explicitement pour sa grâce.

«Vladimir Vladimirovitch (Poutine) et moi nous connaissons depuis trop longtemps, et nous n'avons pas besoin de trop en dire» pour comprendre la position de l'un ou de l'autre, a déclaré l'ancien oligarque.

Il a aussi souligné avoir laissé derrière lui des «otages» en Russie, citant Platon Lebedev, menacé comme lui d'un troisième procès et d'une prolongation de sa peine, et Alexeï Pitchouguine, l'ex-chef de la sécurité du groupe pétrolier Ioukos, condamné à la détention à la perpétuité pour des meurtres qu'il nie.

Il a également déclaré qu'il porterait «jusqu'à la fin de ses jours» sa peine pour Vassili Aksanian, vice-président de Ioukos mort à 39 ans d'un cancer et de la tuberculose après sa détention.

M. Khodorkovski, qui selon nombre d'observateurs a payé pour avoir tenu tête à Vladimir Poutine, montré trop d'indépendance et financé des partis d'opposition, a exclu dans plusieurs interviews de se lancer dans la lutte politique à proprement parler, et de financer l'opposition.

Pour ces deux rencontres avec la presse, il avait choisi un lieu hautement symbolique, un musée consacré au Mur de Berlin, près de Check Point Charlie, mythique point de passage entre l'ouest et l'est de la ville à l'époque du rideau de fer.

Il avait retrouvé samedi ses parents et le reste de sa famille dans la capitale allemande.

Arrêté en 2003, il avait été condamné en 2005 et 2010 successivement sur des accusations de fraude fiscale, escroquerie, vol de pétrole et blanchiment, que de nombreux observateurs occidentaux ont jugés comme relevant d'une justice sélective, et instrumentalisée.

M. Poutine avait annoncé jeudi s'apprêter à gracier le détenu le plus célèbre du pays, au lendemain du vote d'une amnistie qui doit profiter aux membres emprisonnés des Pussy Riot et à ceux de l'équipage international d'un navire de Greenpeace poursuivi en Russie.

Des analystes ont estimé qu'il s'agissait pour le Kremlin d'améliorer l'image de la Russie à l'approche des Jeux olympiques d'Hiver de Sotchi.

M. Khodorkovski a appelé à ne pas boycotter ces JO pour ne pas gâcher la «fête pour des millions de gens».