Après des années de progrès dans la lutte contre la corruption, la Roumanie vit un épisode noir, les parlementaires s'étant octroyé mardi, dans la plus grande opacité, une «super immunité».

«Le jour le plus noir dans la lutte anticorruption», titrait mercredi le quotidien Romania libera, tandis qu'Adevarul publiait en une une caricature dépeignant les élus en malfaiteurs sur les bancs de l'Assemblée, sous le titre «Banditisme d'État au Parlement roumain».

L'Union européenne (UE), qui surveille la Roumanie pour renforcer la lutte contre la corruption, a rappelé mercredi que tous les citoyens devaient être égaux devant la loi.

«Dans nos précédents rapports, nous avons souligné que les lois en matière de corruption et de conflit d'intérêts doivent s'appliquer aux responsables politiques», a souligné un porte-parole de la Commission, Mark Gray.

Selon lui, l'adoption «inattendue» de ce texte fera l'objet du prochain rapport sur l'État de droit en Roumanie, en janvier.

Les Pays-Bas et l'Allemagne ont exprimé leur «inquiétude» sur ces nouvelles mesures législatives dans des réactions transmises à l'AFP par leurs ambassades.

Les États-Unis ont dénoncé «un pas en arrière et un éloignement des principes de la transparence et de l'État de droit».

Le gouvernement roumain de centre gauche, qui avait fait l'objet de vives critiques européennes et américaine à l'été 2012 lors d'une tentative de destitution du président, a gardé le silence.

La Chambre des députés, où la coalition de centre gauche au pouvoir détient une confortable majorité, a voté par surprise des amendements au Code pénal qui aboutissent à «exonérer» les élus et le chef de l'État d'éventuelles poursuites et sanctions pour corruption.

Selon l'un des articles modifiés, le président, les députés et sénateurs ne sont plus assimilés à des fonctionnaires publics, ce qui, selon le Parquet anticorruption (DNA), signifie qu'ils «ne pourront plus être poursuivis et sanctionnés pour des infractions de corruption (...) commises dans l'exercice de leur fonction».

«C'était le "mardi noir de la démocratie roumaine"», résume pour l'AFP Cristina Guseth, présidente de l'ONG de défense de l'État de droit Freedom House Roumanie.

«Cette action semble faire partie d'un plan visant à affaiblir les institutions de l'État de droit, notamment celles chargées de lutter contre la corruption», a-t-elle ajouté.

Proposés par des députés et non pas par le ministère de la Justice, ces amendements ont été discutés dans le plus grand secret tard lundi soir et remis aux élus juste avant le vote, en violation du règlement de l'Assemblée.

La présidente de l'antenne roumaine du Comité Helsinki, Maria Andreescu, a dénoncé un «excès d'autoritarisme», à la radio RFI Roumanie.

L'Union des juges (UNJR) a fustigé un «dérapage constitutionnel extrêmement grave» et un «défi sans précédent à l'adresse de la justice».

Cet amendement va «geler des enquêtes pénales en cours et rendre inutiles les condamnations définitives», car les élus condamnés bénéficieront de la loi la plus favorable et pourront être remis immédiatement en liberté, a expliqué à l'AFP la porte-parole de l'UNJR, Dana Pascut.

Selon le DNA, 28 parlementaires sont actuellement jugés ou purgent des peines de prison pour corruption.

La justice roumaine s'est montrée de plus en plus efficace ces dernières années, selon des experts. Depuis deux ans, un ancien premier ministre et des ministres reconnus coupables de corruption ont été condamnés à de la prison ferme, du jamais vu en Roumanie.

Avant de se prononcer sur ces amendements, les députés avaient tenté d'adopter un projet de loi accordant une grâce aux détenus condamnés à des peines inférieures ou égales à six ans et qui aurait conduit à la libération de nombreux hommes politiques condamnés pour corruption. Mais le vote a été reporté à une date ultérieure.

Le président Traian Basescu avait appelé à rejeter ce projet d'amnistie, avant de déplorer «l'anéantissement de dix ans de travail des institutions anticorruption» avec les amendements au Code pénal. Il a précisé qu'il renverrait ces amendements au Parlement.

«Basescu a raison : le Parlement a projeté la Roumanie dix ans en arrière, voire 25, car les hommes politiques se sont hissés au-dessus des lois», écrit Cristian Tudor Popescu, éditorialiste du quotidien en ligne Gandul.info.