Des centaines de condamnés par la justice locale pour crimes de guerre durant la guerre de Bosnie, devront être rejugés selon une loi plus clémente à la suite d'une décision de la justice européenne, au grand dam des survivants scandalisés.

«C'est scandaleux», s'écrie Hatidza Mehmedovic, une mère de Srebrenica (est) dont deux fils et le mari ont été tués dans le massacre de près de 8000 musulmans commis en juillet 1995 par les forces serbes de Bosnie.

«Honte à ces juges qui récompensent le génocide et qui continuent à punir les victimes. Nous sommes écoeurées et nous avons peur aussi parce qu'on a déjà commencé à mettre en liberté les pires bourreaux», dit-elle.

Depuis octobre, la chambre chargée de crimes de guerre auprès de la Cour d'État de Bosnie a remis en liberté douze hommes qu'elle avait condamnés pour crimes de guerre.

Un d'entre eux, Goran Damjanovic, un ancien militaire serbe de Bosnie - après avoir été condamné à 11 ans de prison - a saisi la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).

Il avait alors affirmé qu'il aurait dû être jugé selon un Code pénal en vigueur pendant la guerre intercommunautaire de Bosnie (1992-95), plus clément que celui adopté en 2003, appliqué par le tribunal dans son procès.

La nouvelle législation prévoit des peines de 10 à 45 ans de prison pour crimes de guerre. L'ancienne de 5 à 15 ans, ou la peine de mort qui pouvait être substituée par une peine de 20 ans de prison. Mais comme la peine de mort n'est plus appliquée en Bosnie, l'ancien Code pénal est de fait plus clément.

La CEDH a donné raison à M. Damjanovic en juillet, en expliquant que la justice bosnienne «n'aurait pas dû appliquer rétroactivement le Code pénal de 2003».

La Cour d'État de Bosnie, mise en place en 2003 avec une forte implication de la communauté internationale, a jugé des centaines de criminels de guerre de petit calibre pour décharger le Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie (TPIY).

À ses débuts, elle comptait de nombreux juges internationaux dont les derniers sont partis en 2012, explique à l'AFP un juge bosnien de ce tribunal, Dragomir Vukoje.

«Lors de l'inauguration de la chambre chargée de crimes de guerre, le procureur du TPIY à l'époque, Carla Del Ponte, avait anticipé en quelque sorte ces problèmes (...) d'interdiction de la rétroactivité du Code pénal», admet-il.

Me Vukoje explique toutefois que même les juges internationaux ne mettaient pas en cause l'application du nouveau Code pénal.

À la suite de la décision de la CEDH, la justice bosnienne a admis avoir commis la même erreur dans d'autres procès et a commencé à annuler les peines et à remettre en liberté les coupables, des Serbes pour la plupart.

Ces prévenus avaient été condamnés à des peines allant de 14 à 33 ans de prison, six d'entre eux pour «génocide» à Srebrenica.

Selon le juge Vukoje, à ce jour, 110 verdicts concernant «plusieurs centaines de personnes» ont été prononcés conformément au Code pénal de 2003.

Des dizaines d'autres appels ont déjà été interjetés, a dit à l'AFP un avocat spécialisé dans les dossiers de crimes de guerre, Dusko Tomic.

Le Parquet a demandé à ce que les hommes libérés soient remis en détention à cause notamment du «risque de les voir fuir le pays», dans l'attente de leur nouveau jugement.

La responsabilité des prévenus dans des crimes de guerre n'est contestée par personne, mais les avis de magistrats sont différents quant à la suite à donner à ce casse-tête juridique.

«En ce qui concerne mes clients, je proposerai au Parquet de négocier juste la peine, en conformité avec l'ancien Code pénal», explique l'avocat Tomic.

Le juge Vukoje estime toutefois qu'il sera probablement nécessaire de présenter «au moins des preuves importantes pour la gravité de la peine» lors des procès qui, dans ce cas, devront être renouvelés.

La guerre de Bosnie a fait environ 100 000 morts.