Le tireur présumé de Paris, arrêté dans la nuit de mercredi à jeudi après une longue traque, est obsédé par un «complot fasciste», les méfaits du «capitalisme» et la «manipulation des masses» par les médias, selon les premiers éléments d'enquête.

Le nom du suspect, Abdelhakim Dekhar, 48 ans, est apparu voici près de 20 ans dans une retentissante affaire de fusillade dans laquelle cinq personnes avaient trouvé la mort à Paris.

Il a refait surface, à la surprise générale, après qu'il eut été confirmé, dans la nuit, que son empreinte ADN correspondait à celle du tireur qui a semé lundi la terreur à coups de fusil à pompe dans le hall du quotidien Libération, blessant grièvement un assistant photographe, avant d'ouvrir le feu dans un quartier d'affaires et de brièvement prendre un automobiliste en otage.

Il s'était quelques jours plus tôt introduit armé au siège de la chaîne d'informations télévisées en continu BFM TV.

M. Dekhar a été placé en garde à vue pour tentatives d'assassinats, enlèvement et séquestration, a annoncé le procureur de Paris, François Molins. Sa garde à vue, qui peut durer en tout 48 heures, a été prolongée jeudi d'un jour.

Interpellé mercredi soir dans un «état semi-conscient» après une prise de médicaments qui laisse penser à une tentative de suicide, Abdelhakim Dekhar peut désormais être interrogé par les enquêteurs, a précisé le magistrat lors d'une conférence de presse.

Dans des lettres retrouvées par la police, le suspect a évoqué un «complot fasciste» et dénoncé les méfaits du «capitalisme» et la «manipulation des masses» par «les médias», a annoncé le procureur de Paris, sans toutefois conclure qu'il s'agissait là des mobiles de ses actes.

Dans une lettre, il évoque les conflits du monde arabe, selon une source proche du dossier, tandis qu'une autre source mentionne des écrits «confus».

Contacté par l'AFP, son avocat, Rémi Lorrain, s'est refusé à tout commentaire.

L'homme, condamné en 1998 à quatre ans de prison, avait des «tendances affabulatrices», mais pas de «grain de folie», d'après les conclusions de l'expertise psychiatrique à l'époque, a souligné M. Molins.

Selon le magistrat, il est bien l'«auteur unique» de l'escapade sanglante à Paris et en banlieue parisienne. Il a été dénoncé par un homme de 32 ans qui l'hébergeait depuis juillet. Le procureur de Paris a précisé que les deux hommes s'étaient rencontrés à Londres il y a 13 ans. M. Dekhar vivait régulièrement en Grande-Bretagne depuis lors.

«J'ai fait une connerie»

Selon une source proche de l'enquête, Abdelhakim Dekhar aurait confié à son hébergeur, rentré de voyage le jour de l'attaque à Libération: «J'ai fait une connerie.»

Son arrestation met fin à une traque qui a mobilisé toutes les forces de police de l'agglomération parisienne. Des centaines de personnes avaient répondu à l'appel à témoin lancé avec à l'appui des photos extraites des enregistrements de vidéo-surveillance.

Né dans l'est de la France dans une famille algérienne de 13 enfants, possédant la double nationalité, M. Dekhar avait été impliqué dans l'une des affaires retentissantes des 30 dernières années. Surnommé Toumi à l'époque, il avait été condamné à quatre ans de prison pour avoir acheté le fusil à pompe ayant servi à l'équipée sanglante du couple Florence Rey-Audry Maupin, qui avait fait cinq morts, dont trois policiers, le 4 octobre 1994 à Paris.

Cheveux courts et lunettes à la Malcolm X, il était au début des années 90 un habitué des squats fréquentés par les groupuscules anarchistes et d'extrême gauche, souvent sous étroite surveillance policière.

Au procès, il avait vainement tenté de persuader la cour qu'il était un agent de la Sûreté militaire algérienne, chargé d'infiltrer les milieux autonomes pour en débusquer d'éventuels intégristes. Condamné exactement à la durée de sa détention provisoire, il avait été libéré dans la foulée.

Dans un communiqué, le président François Hollande a salué «l'efficacité des services de police et de justice». Le patron de Libération, Nicolas Demorand, a fait part à l'AFP de son «soulagement immense».

Le jeune assistant photographe qu'il a blessé au thorax et à l'abdomen à Libération «va bien», selon Nicolas Demorand. Soigné dans un hôpital parisien, il est «définitivement maintenant du côté de la vie».