Des dizaines de migrants, passagers du navire qui a coulé le 3 octobre près de Lampedusa, avaient été séquestrés, torturés et les femmes violées, avant leur départ de Libye, ont indiqué vendredi des enquêteurs italiens en annonçant l'arrestation de deux passeurs.

Le bateau de pêche à bord duquel se trouvaient plus de 500 voyageurs, en majorité des Érythréens, avait pris feu et fait naufrage en pleine nuit, près de cette petite île du sud de la Sicile. Au moins 366 passagers, dont beaucoup de femmes et d'enfants, s'étaient noyés, littéralement pris au piège dans les cales. Et seules 155 personnes ont survécu.

La police italienne a interpellé un Somalien de 34 ans, soupçonné d'être «l'un des organisateurs» du transport de ces migrants, a indiqué à l'AFP une porte-parole de la police de Palerme (Sicile). «C'est l'une des rares fois où nous réussissons à arrêter un des chefs de ces organisations criminelles», a précisé l'officier de police Enzo Nicoli, devant la presse.

Les migrants venant d'Érythrée et Somalie ont souvent témoigné d'abus en particulier en Libye, mais leurs récits font rarement l'objet de véritables enquêtes dans les pays occidentaux.

Selon les témoignages de 8 rescapés entendus dans l'enquête, un groupe de 130 réfugiés, dont 20 femmes, a subi les pires sévices en juillet dernier avant d'embarquer pour l'Europe. Ils étaient reclus dans un «camp de concentration» à Sebha, dans le désert entre le Soudan et la Libye, a indiqué le procureur Maurizio Scalia sur une télévision.

«On nous a pris toutes nos affaires personnelles, y compris les téléphones portables (...) On était contraints de rester debout toute la journée (...) Ils nous ont obligés à regarder pendant que nos compagnons étaient torturés, avec des matraques ou des fils électriques», a raconté une jeune Érythréenne de 17 ans aux enquêteurs, selon un compte rendu cité par le journal Repubblica.

Ceux qui se rebellaient étaient attachés «à une corde qui reliait les jambes au cou, ce qui faisait que le moindre mouvement enclenchait un début d'étranglement», a-t-elle précisé.

Selon l'adolescente, leurs ravisseurs, une cinquantaine en tout, étaient des Somaliens et des Soudanais. Les enquêteurs italiens ont aussi souligné la participation de miliciens libyens aux exactions.

Séquestrés pendant plusieurs jours, les aspirants au voyage vers l'Europe étaient rançonnés - entre 3300 et 3500 dollars par personne - et «les femmes qui ne pouvaient pas payer subissaient des violences physiques», a poursuivi la jeune femme.

«Un soir, un Somalien et deux de ses hommes m'ont contrainte à sortir. Après m'avoir jetée à terre, ils m'ont bloqué les bras et m'ont versé sur la tête de l'essence, ce qui m'a provoqué de fortes brûlures aux cheveux, au visage et aux yeux», a-t-elle raconté.

Puis l'un après l'autre, les trois hommes ont abusé d'elle. Après l'avoir battue, ils l'ont ramenée retrouver ses compagnons à qui elle a confié ce qu'il lui était arrivé. Elle a aussi dit avoir vu ses tortionnaires emmener deux jeunes filles et revenir «avec une seule, une heure plus tard».

Selon le procureur Scalia, «toutes les femmes du camp ont été violées par des Somaliens et des Libyens. Cela nous rappelle les pires moments de l'histoire humaine».

Selon le quotidien La Stampa, le Somalien interpellé est accusé d'enlèvements en vue d'extorquer de l'argent, association de malfaiteurs ayant pour but l'incitation à l'immigration clandestine, traite de personnes et violences sexuelles.

Il risque 30 ans de réclusion criminelle.

La police a également arrêté un autre passeur, d'origine palestinienne et âgé de 47 ans, poursuivi pour incitation à l'immigration clandestine. Il est soupçonné d'avoir notamment organisé l'arrivée récente d'un navire de réfugiés syriens, selon la police.

Les deux hommes sont détenus à Palerme, où la Direction antimafia, compétente aussi dans la lutte contre la traite d'êtres humains, est en charge du dossier.

L'Italie a renforcé la répression policière et judiciaire du trafic de migrants après l'arrivée de plus de 35 000 demandeurs d'asile sur ses côtes depuis le début de l'année.