Le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan inaugure mardi à Istanbul un tunnel ferroviaire sous le Bosphore, un de ses mégaprojets urbains souvent contestés qui ont nourri la fronde antigouvernementale de juin.

Après neuf ans de travaux, ce boyau de 1,4 km de long enfoui sous le lit du détroit va permettre au métro de relier en quelques minutes les deux rives de la mégapole turque et soulager, un peu, ses problèmes cauchemardesques de transport.

Ancien maire d'Istanbul, M. Erdogan n'a laissé à personne d'autre que lui le soin de couper le ruban du tunnel. Il sera accompagné mardi, jour anniversaire de la fondation de la République turque en 1923, du chef du gouvernement japonais Shinzo Abe, principal pourvoyeur de fonds du projet.

«Ce projet est un rêve de 150 ans», s'est réjoui il y a quelques mois celui que ses détracteurs qualifient souvent de «nouveau sultan». «Nos ancêtres ont travaillé là-dessus, il nous est revenu de le réaliser».

Précisément, l'idée de percer un tunnel sous le Bosphore a été évoquée pour la première fois en 1860 par un sultan ottoman, Abdoul Medjid. Mais faute de technique et de fonds suffisants, elle n'avait jamais passé le cap de la planche à dessin.

Le projet a été remis au goût du jour dans les années 1990 avec l'explosion démographique d'Istanbul, dont la population a doublé depuis 1998 pour dépasser 15 millions d'habitants.

Grâce à l'appui financier de la Banque du Japon pour la coopération internationale (735 millions d'euros) puis de la Banque européenne d'investissement (BEI), le premier coup de pioche a été donné en mai 2004 par un consortium d'entreprises turques et japonaises.

Le coût total du projet est évalué aujourd'hui à 3 milliards d'euros.

Les travaux devaient initialement être achevés en quatre ans, mais ont été longtemps suspendus par la découverte d'une série de trésors archéologiques.

Au total, près de 40 000 objets ont été exhumés du chantier, notamment sur la rive européenne de la mer de Marmara. Parmi eux, un exceptionnel cimetière d'une trentaine de navires byzantins, la plus vaste flottille médiévale connue à ce jour.

Un goût d'inachevé

Le succès inattendu de cette pêche historique a fini par contrarier M. Erdogan. «D'abord ils ont parlé de trucs archéologiques, puis de pots en argile, puis ci, puis ça. Est-ce que tout ça est vraiment plus important que la population?», s'est-il agacé il y a deux ans.

Le tunnel, un double tube immergé à plus de 50 m sous le lit du Bosphore, est aujourd'hui enfin achevé. Dans cette région à forte activité sismique, il est censé pouvoir résister à des séismes d'une magnitude de 9 sur l'échelle ouverte de Richter.

Avec cet ouvrage, à terme relié à 75 km de voies nouvelles, les autorités veulent mettre un terme au calvaire quotidien au 2 millions de Stambouliotes qui, chaque jour, traversent le Bosphore sur ses deux ponts, toujours saturés.

«Le tunnel crée un axe de transport entre l'est et l'ouest de la ville qui, je crois, va alléger le fardeau des deux ponts (de la ville) grâce à sa capacité de 150 000 passagers par heure», s'est enflammé lundi le maire de la plus grande ville turque, Kadir Topbas.

Certains en doutent. Certes, ce tunnel a suscité moins de critiques que le futur 3e aéroport de la ville, le canal de 45 km parallèle au Bosphore ou le troisième pont sur le détroit. Ces projets «pharaoniques» ont été dénoncés comme autant de preuves de la dérive autoritaire et de l'affairisme du gouvernement islamo-conservateur pendant la fronde de juin.

«C'est un projet important dont la ville avait besoin (...) il va réduire les gaz à effet de serre», concède Tayfun Kahraman, le président de la chambre des urbanistes d'Istanbul.

Mais son intégration au reste du réseau de transport en commun est encore loin d'être réalisée. «La portion mise en service est très limitée. Tout ça a été reporté à bien plus tard», regrette M. Kahraman, «on se demande pourquoi cette inauguration au plus vite»...

Les élections municipales sont prévues en mars 2014.