«Rendez-nous Maria! Nous l'abriterons et partagerons notre pain avec elle», s'exclame Katia Rousseva, 20 ans, la soeur aînée de la fillette abandonnée en Grèce par des Roms bulgares et surnommée dans les médias «l'ange blond».

Aussi blonde que Maria, visage émaillé de taches de rousseur, sourcils presque blancs, Katia craint que les services sociaux «n'enlèvent Maria» à son retour en Bulgarie. «Nous ne la céderons pour rien au monde», s'écrie-t-elle devant sa masure à Gourkovo (centre) où elle habite avec son mari Moustafa et ses deux enfants, enceinte d'un troisième.

«Je gardais mes huit frères et soeurs à Nikolaevo (ndlr: à 5 km de Gourkovo) quand mes parents étaient en Grèce. À son retour, maman a dit qu'elle y avait laissé un bébé. Elle n'avait pas d'argent pour payer son passeport», témoigne-t-elle.

Une voisine, Nadka Tchakarova, grand-mère de Stanka, une fillette brune de trois ans, avale ses larmes: Stanka est née en Grèce et Nadka a passé le bébé clandestinement à travers la frontière. «Nous aurions pu la vendre, des candidats nous ont contactés à l'hôpital d'Heraklion, offrant beaucoup d'argent», assure-t-elle. «L'enfant n'a aucune pièce d'identité, aucune assurance médicale. Je veux l'enregistrer, mais les fonctionnaires municipaux d'ici me renvoient en Grèce. Avec quel argent?», soupire Nadka.

Katia, elle, s'inquiète pour ses parents, Sacha et Atanas Roussev, soupçonnés d'avoir vendu la petite Maria et qui risquent six ans de prison. Ceux-ci ont disparu depuis vendredi matin du ghetto de Nikolaevo avec trois de leurs enfants blonds. La police assure «qu'ils sont en Bulgarie et pas en détention».

Le ghetto aux aguets

Leurs voisins affirment qu'une chaîne de télévision leur paie un appartement à Sofia pour les garder à l'abri et les interviewer.

«Qu'on fiche la paix à mes parents. Maman n'a rapporté aucun argent pour avoir laissé Maria, nous avons vécu dans la même misère après son retour de Grèce», témoigne Katia.

Le ghetto de Nikolaevo est aux aguets. Jeudi en fin d'après-midi, les services sociaux ont tenté d'emmener trois enfants mineurs des Roussev, mais les Roms du voisinage ne les ont pas laissés partir.

«J'ai pris une hache. Les autres gens les ont engueulés (les agents sociaux, ndlr). Alors ils ont fait signer à Elena, leur soeur majeure, un document de garde sous sa responsabilité», a déclaré Roumiana Tinkova, 32 ans.

Grelottant en blouse sans manches et chaussée de sandales dans la froide matinée d'octobre, Elena rappelle à l'ordre son frère Filip, six ans, courant pieds nus en toussant, alors que la blonde Minka, 14 ans, s'accroche à elle, paralysée de peur devant les appareils des photographes. «J'aimerais qu'on m'envoie aussi Maria», suggère timidement Elena.

La tentative des services sociaux d'emmener trois enfants des Roussev a suscité l'inquiétude et réveillé des souvenirs amers: «Quelle mère se séparerait de ses enfants! Mais ils (les services sociaux, ndlr) m'en ont volé deux, ils disent que les conditions de vie n'étaient pas bonnes et que je n'avais pas de revenus», se plaint Anka Yordanova, 31 ans, les larmes aux yeux.

«Montrez comment nous vivons»

«Moi aussi, ils m'en ont pris trois», témoigne Roumiana Tinkova, qui en a six autres. «Ils étaient malades, j'ai signé des papiers, mais je ne sais pas lire. Puis j'ai appris que mes fillettes étaient adoptées en Allemagne!»

L'intérêt médiatique sans précédent pour les ghettos roms misérables de Nikolaevo et Gourkovo éveille des espoirs timides: «Nous n'avions jamais vu auparavant des gens comme vous devant ces taudis. Montrez comment nous vivons, quelqu'un peut nous envoyer des vêtements, des couvertures», dit Boïan Ivanov, 33 ans. Il montre sa mère malade et quatre enfants dormant sur le sol humide d'une maison décrépie, misérable comme tant d'autres à Nikolaevo.

«C'est rare qu'on trouve du travail. Ce qui nous reste, c'est de fouiller les poubelles et de voler», expliquent des Roms sous couvert d'anonymat.

«Pour la mairie, nous ne sommes pas des hommes. Ils ne viennent que pour nous compter, mais nous laissent nous débrouiller contre les inondations, la faim et les maladies», accuse Boïan Ivanov.

L'albinisme pourrait expliquer le teint de «l'Ange blond»

Le teint pâle et les cheveux blonds de la petite Maria, découverte dans un camp Rom en Grèce, et de ses frères et soeurs en Bulgarie, pourraient s'expliquer par l'albinisme, une maladie génétique rare, a expliqué à l'AFP un médecin bulgare.

«L'albinisme est dû à un défaut génétique, qui se traduit par un manque de pigmentation de la peau, des yeux et des cheveux. Il y a des indices de cette maladie rare chez ces enfants que j'ai vus à la télévision», a déclaré à l'AFP le professeur Draga Tontcheva, titulaire de la chaire de médecine génétique à l'Académie de médecine à Sofia.

«Elle se manifeste quand les gènes défectueux des deux parents se réunissent», a-t-elle précisé.

La peau très blanche et sensible qui ne brunit pas sous l'effet du soleil, les yeux rouges ou bleu très clair, les cils et sourcils blancs, ainsi que l'astigmatisme sont souvent des manifestations de l'albinisme, a ajouté le professeur Tontcheva.

La blondeur de Maria, surnommée dans les médias «l'Ange blond d'Athènes», avait éveillé certains soupçons, le couple de Roms grecs qui en avait la garde ayant le teint mat.

Des tests ADN réalisés en Bulgarie ont prouvé que les parents de la fillette sont Sacha et Atanas Roussev, un couple de Roms vivant dans le centre de la Bulgarie, à Nikolaevo. Ils ont également le teint mat et les cheveux bruns.

Toutefois, cinq des dix enfants du couple sont blonds. Certains d'entre eux ont les yeux bleus, d'autres ont les yeux rougeâtres et sont atteints de strabisme, et ont des taches de rousseur et des sourcils blancs.

Filip Roussev, un oncle de ces enfants, affirme que deux de ses propres oncles avaient un aspect identique.

Un registre des maladies rares est en cours de création en Bulgarie, sur lequel pourraient figurer Maria et ses frères et soeurs blonds, estime le professeur Tontcheva.