La justice russe a commué mercredi en sursis la peine de 5 ans de détention de l'opposant numéro un au Kremlin, Alexeï Navalny, qui échappe à la prison, mais reste inéligible et sous contrôle judiciaire.

«Les autorités essaient de toutes leurs forces de m'écarter de la bataille politique», a déclaré, une fois passée sa joie d'échapper à l'incarcération, cet avocat de 37 ans qui s'est imposé ces dernières années comme le leader le plus déterminé et le plus charismatique de l'opposition russe.

«Ils ne réussiront pas, nous continuerons», a-t-il ajouté, indiquant qu'il allait se pourvoir en cassation pour obtenir la levée pure et simple de l'accusation.

Comparaissant libre avec son co-accusé Piotr Ofitserov, condamné comme lui en juillet pour des malversations qu'ils nient, l'opposant avait indiqué se rendre au procès en appel à Kirov (900 km à l'est de Moscou) avec ses effets personnels en cas d'incarcération.

Inéligible et sous contrôle judiciaire

Mais s'il échappe à la prison, le verdict entame cependant sa capacité à poursuivre son combat politique.

«Changer le verdict du 18 juillet à l'égard de Navalny et Ofitserov, et considérer les peines infligées comme des peines avec sursis», a déclaré le juge, en lisant la décision du tribunal à l'issue d'un procès qui a duré moins de trois heures.

Pour le reste, le verdict énoncé rejette les requêtes d'acquittement formulées par la défense, et maintient les deux hommes sous contrôle judiciaire.

Ils devront jusqu'à la fin de leur peine se présenter deux fois par mois au poste de police, et signaler tout changement de domicile.

Selon la loi russe, Alexeï Navalny est inéligible jusqu'à la fin de sa peine avec sursis. L'opposant est par ailleurs poursuivi dans d'autres affaires dont un dossier d'«escroquerie» passible de 10 ans de prison, «Le plus important est qu'il est reconnu coupable. Politiquement, il est pieds et mains liés par ce verdict», a commenté la politologue Olga Krichtanovskaïa.

«Il suffit d'un pas de côté, et c'est l'arrestation et la prison. C'est pourquoi il doit être très prudent, c'est particulièrement vrai pour les manifestations, sur lesquelles la loi est très stricte», a-t-elle ajouté.

Ouverte mercredi matin dans la petite ville où l'opposant avait été en 2009 consultant des autorités régionales, l'audience a été menée au pas de charge, et le verdict a ignoré sans explication particulière les réquisitions du parquet, qui avait requis le maintien de la peine.

Le Kremlin nie toute influence de Poutine

«Il est absolument évident que la décision sur la première condamnation, et la décision de commuer la peine en sursis, ont été prises personnellement par Vladimir Poutine», a affirmé Alexeï Navalny.

Le porte-parole du président, Dmitri Peskov, a nié toute influence sur la décision de justice.

«Nous estimons que ce n'est pas le cas. Ce n'est pas l'affaire du président», a-t-il déclaré à l'agence Interfax.

En chemise blanche aux manches retroussées, et arborant comme à l'accoutumée un autocollant «Poutine - voleur !» bien en vue au dos de son ordinateur, l'opposant avait dénoncé face au tribunal une accusation «fabriquée par le comité d'enquête à Moscou», avec «des motivations politiques évidentes».

Alexeï Navalny avait été jugé coupable en juillet, avec Piotr Ofitserov d'avoir organisé le détournement de 16 millions de roubles (près de 560 000 $) au détriment d'une entreprise forestière publique en 2009, alors qu'il était consultant du gouverneur libéral de la région.

Il a toujours dénoncé des accusations absurdes, expliquant que l'entreprise forestière avait bien été payée.

«Comment ces 16 millions de roubles ont-ils donc pu s'évaporer?», a-t-il lancé lors de l'audience, dénonçant le «faux témoignage» de l'ex-directeur de la société forestière.

Sa position d'opposant numéro un a été renforcée par le score honorable de plus de 27 % des suffrages obtenus, en dépit de fraudes selon lui, à l'élection en septembre du maire de Moscou remportée sans surprise par le fidèle du Kremlin Sergueï Sobianine.

Un libéral proche des nationalistes

Ce grand blond aux yeux bleus, orateur charismatique et enflammé, est un libéral, mais également proche des milieux nationalistes et anti-immigration, thème sensible pour les autorités comme l'ont montré les émeutes xénophobes survenues dimanche à Moscou après le meurtre d'un jeune Russe attribué à un Caucasien.

Son maintien en liberté en juillet après sa condamnation avait été considéré par nombre d'observateurs comme destiné à légitimer l'élection à Moscou en lui permettant d'y participer.