Le premier procès jamais organisé en Espagne contre la firme allemande  Grünenthal, productrice de la thalidomide, un médicament à l'origine de malformations chez des milliers d'enfants dans le monde et retiré du marché il y a 50 ans, s'est ouvert lundi à Madrid.

Arrivées sur des fauteuils roulants ou appuyées sur des béquilles, plusieurs victimes espagnoles se sont rendues au tribunal à Madrid, brandissant une pancarte réclamant «Justice».

N'ayant jamais reçu aucune indemnisation, reconnues officiellement seulement depuis 2010 pour une vingtaine d'entre elles, les victimes espagnoles ont l'espoir qu'«après plus d'un demi-siècle d'attente interminable, elles puissent voir apaiser leur souffrance, qui a commencé dans le ventre de leurs mères et se prolonge aujourd'hui, avec leur absence de bras ou de jambes», selon leur association en Espagne, Avite.

L'association estime que le chiffre total de victimes a pu s'élever jusqu'à 3000 en Espagne, mais beaucoup d'entre elles sont décédées.

Avite a réclamé lundi à la firme Grünenthal 204 millions d'euros pour ses quelque 180 membres, en fonction du degré de gravité de leurs malformations. Le verdict devrait être rendu d'ici à trois semaines.

«Si le verdict va dans le sens de notre plainte, le laboratoire allemand Grünenthal serait considéré officiellement, pour la première fois de l'histoire, comme le responsable de ce qui s'est passé», expliquait Avite avant l'audience.

Grünenthal avait présenté ses premières excuses aux victimes du monde entier en septembre 2012, soit 50 ans après les premiers cas de malformations, affirmant être «vraiment désolée» pour son long silence.

Lundi, la défense de la firme allemande a de nouveau affirmé «regretter profondément la tragédie de la thalidomide», mais a demandé au tribunal que la plainte soit rejetée.

«Les faits se sont produits il y a plus de 50 ans, ce qui nous pousse à estimer que la légitimité de toute procédure pourrait être sérieusement compromise à cause du temps écoulé», a déclaré Grünenthal dans un communiqué.

La firme a cependant voulu rappeler que toutes les victimes, «y compris celles qui vivent en Espagne, ont pu et ont encore la possibilité de demander les aides qu'accordent la Fondation Contergan et la Fondation Grünenthal Allemagne, et de recevoir les mêmes bénéfices économiques que ceux que reçoivent les victimes en Allemagne».

Les victimes espagnoles se sont justement plaintes lundi d'une différence de traitement, selon les pays.

Si Grünenthal «a versé 500 millions d'euros aux victimes allemandes et ici rien, et bien qu'elle paye tout simplement pour ses responsabilités», a déclaré aux médias le porte-parole d'Avite, José Riquelme.

Médicament de triste mémoire, prescrit aux femmes enceintes à la fin des années 50 et au début des années 60 pour soulager les nausées, la thalidomide, vendu sous le nom de Contergan en Allemagne, a défrayé la chronique en causant des ravages irréversibles sur le développement du foetus.

On estime généralement entre 10 000 et 20 000 le nombre total des victimes de ce médicament qui sont nées avec des segments de bras ou de jambes manquants, des mains ou des pieds directement rattachés au tronc.

La thalidomide fut retirée du marché fin 1961 en Allemagne et en Grande-Bretagne, mais Avite affirme qu'il avait encore fallu attendre de longs mois pour que le médicament soit interdit en Espagne.