La Turquie a officiellement aboli mardi une disposition interdisant aux femmes de porter le foulard islamique dans la fonction publique, une mesure initiée par le premier ministre islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan et perçue par l'opposition comme une atteinte à la laïcité.

«Nous avons abrogé aujourd'hui une disposition archaïque qui était contre l'esprit de la République, c'est un pas vers la normalisation», a dit M. Erdogan lors d'un discours hebdomadaire au Parlement devant les députés de son Parti de la justice et du développement (AKP, issu de la mouvance islamiste).

Fortement ovationné par ses députés sur cette mesure incluse dans un train de réformes visant à démocratiser la Turquie qu'il avait présenté le 30 septembre dernier, M. Erdogan était visiblement très satisfait.

La libéralisation du voile constitue en effet une revendication emblématique de l'islam politique en Turquie depuis plusieurs décennies.

Parlant d'une réforme «historique», le chef du gouvernement, dont la femme est voilée comme celle de la plupart des épouses des dirigeants de son parti, a estimé que «la République (turque) est la République des 76 millions d'habitants de la Turquie».

«Les femmes voilées sont des membres à part entière de cette République, tout autant que celles qui ont la tête découverte», a-t-il dit.

La mesure est officiellement entrée en vigueur après sa publication mardi matin dans le Journal officiel, dans le cadre d'un nouveau règlement vestimentaire pour les fonctionnaires qui autorise aussi les hommes à porter la barbe.

La précédente disposition, rédigée en 1982, deux ans après un coup d'État militaire, astreignait les femmes à se présenter au travail «la tête découverte», en l'occurrence sans être coiffées du voile islamique, et les hommes soigneusement rasés.

L'armée et la police ainsi que la magistrature continueront d'être soumises à l'interdiction du foulard et de la barbe.

«Une période sombre touche enfin à son terme», a insisté M. Erdogan, qui a estimé que l'interdiction du voile violait le droit de culte, un délit passible d'une peine de prison.

Jugée inconstitutionnelle et contraire au principe de laïcité, qui est un des fondements de la République turque, la mesure libéralisant le port du voile dans les universités, en 2008, avait déjà fortement divisé la société turque. Mais l'AKP au pouvoir depuis 11 ans a toujours défendu le port du voile dans tous les domaines.

Le journal pro-gouvernemental Sabah jubilait mardi en une : «La honte du voile rejetée dans les limbes de l'Histoire».

L'opposition et les cercles pro-laïcité turcs ont dénoncé cette mesure, estimant qu'elle constitue une nouvelle brèche dans le symbole de la Turquie musulmane, mais laïque voulue par le fondateur de la République, Mustafa Kemal Atatürk.

Le principal parti d'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) ne s'est pas clairement opposé à la libéralisation du voile dans l'administration. Mais il a estimé que cette liberté pouvait rapidement dégénérer, si elle venait par exemple à s'appliquer au niqab, le voile couvrant le visage à l'exception des yeux.

«Erdogan veut faire de la Turquie un pays qui vit selon les seuls règles du coran», a estimé un influent député de cette formation, Muharrem Ince.

Le parlementaire s'est en particulier inquiété de «la pression du quartier» sur les femmes, estimant que l'autorisation du hijab pourrait bien vite se transformer en une obligation de fait, certaines femmes préférant se couvrir afin de se mettre à l'abri des critiques.

Accusé de vouloir «islamiser» la société avec des références de plus en plus visibles à l'islam, le parti gouvernemental avait déjà suscité une vague de contestation au sein des milieux pro-laïcs après plusieurs dispositions surtaxant l'alcool et restreignant sa vente et sa consommation, bannie par l'islam.

En juin dernier, 2,5 millions de personnes ont protesté dans les rues contre la politique autoritaire de M. Erdogan, une fronde sans pareille depuis que l'AKP a pris les rênes de la Turquie en 2002.