Depuis la mi-septembre, ça n'arrête pas. D'abord, le maire de la ville de Croix, Régis Cauche, qui a promis de soutenir ceux parmi ses citoyens qui «commettraient l'irréparable» contre un éventuel cambrioleur rom.

Puis, la candidate à la mairie de Paris, Nathalie Kosciusko-Morizet, qui a dénoncé le «harcèlement» des Parisiens par des Roms qui «s'agrippent aux cartables des écoliers».

Et pour clôturer le tout, le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, en a remis en parlant des «modes de vie des Roms extrêmement différents» de ceux des Français. Sa conclusion: leur «vocation», c'est de retourner là d'où ils sont venus, soit en Bulgarie et en Roumanie.

Outrée, la commissaire européenne à la Justice, Viviane Reding, a immédiatement lié cette surenchère verbale à la campagne en vue des municipales de mars prochain.

«Chaque fois qu'on ne veut pas parler de choses importantes, comme le budget ou la dette, on trouve les Roms», a-t-elle dénoncé à France Info.

Elle n'est pas la seule à trouver que les quelque 20 000 Roms établis en France, souvent dans des campements insalubres, servent trop facilement de combustible électoral.

«Les élections municipales créent un terrain politique où chaque candidat veut se montrer plus intransigeant que les autres à l'égard des Roms, on veut montrer aux citoyens qu'on va les libérer de ce fléau», déplore Sophie Latraverse, juriste au bureau du Défenseur des droits.

«Il y a une instrumentalisation claire de la question des Roms à l'approche des municipales. Ça a pris des proportions extrêmement violentes», dénonce Marion Cadier, auteure d'un rapport sur les expulsions des Roms, publié mercredi par Amnistie internationale (AI).

Ce rapport donne une tout autre image de la réalité vécue par cette population plongée dans une extrême précarité et soumise au «cycle infernal des expulsions», selon Marion Cadier.

Le rythme des expulsions s'accélère depuis l'arrivée au pouvoir de François Hollande, constate le rapport. En 2012, 11 982 Roms ont été chassés de leurs bidonvilles. Il y en a eu 10 174 durant les deux premiers trimestres de 2013 seulement. Généralement, ils n'avaient aucune solution de rechange pour se reloger. Sauf d'aménager un autre bidonville, dans une autre ville.

Pourtant, en août 2012, le nouveau gouvernement socialiste avait publié une circulaire recommandant la marche à suivre pour des déplacements plus humains. Un an plus tard, les expulsions sauvages se poursuivent, sur fond d'hostilité et de rejet.

Cette stigmatisation occulte le vrai problème des Roms: leur immense précarité économique, souligne Sophie Latraverse. Une précarité alimentée par la politique actuelle de la France.

Car depuis qu'ils peuvent circuler librement en Europe, les Roumains et les Bulgares ayant opté pour la France tombent sous le coup de «mesures transitoires» qui limitent leur droit de travailler. Pour exercer un boulot, il leur faut un permis de séjour. Le temps d'obtenir les bons papiers, le boulot n'est plus là.

«On a créé des conditions qui font en sorte que les Roms ne trouvent pas de travail», résume Sophie Latraverse. Ces mesures pourraient être levées en janvier 2014. Mais en attendant, elles ont nourri les préjugés anti-Roms.

«C'est faux que les Roms ne veulent pas s'intégrer, proteste Marion Cadier. Quand on leur parle, on se rend compte que ce sont des gens comme tout le monde.»

Sophie Latraverse rappelle que les Roms sont des migrants économiques venus de pays où leur situation est «catastrophique». Bien sûr, il y a parmi eux de la criminalité, et il y a des familles qui s'intègrent mal. «Mais l'expérience démontre que lorsqu'ils trouvent un boulot, ils disparaissent. Ils deviennent des Bulgares et des Roumains qui ont des papiers, travaillent et envoient leurs enfants à l'école.»

L'extrême précarité

20 000

Nombre approximatif en France de Roms venus de la Roumanie et de la Bulgarie qui vivent dans des conditions d'extrême précarité. Plusieurs sont là depuis plus d'une décennie. D'autres sont arrivés après l'adhésion de ces deux pays à l'Union européenne, en 2007.

5000

Nombre approximatif de Roms qui vivent dans la grande région parisienne. Ce nombre est relativement stable depuis plusieurs années. On ne peut donc pas parler d' «invasion».

75 %

En Roumanie, pourcentage des Roms qui vivent dans l'extrême pauvreté. Les Roms fuient donc une précarité encore plus grande. 

11 982 

Nombre de migrants, en 2012, qui ont été chassés de leurs squats et bidonvilles, le plus souvent en raison d'une évacuation par les autorités ou d'un incendie.

10 174

Nombre de Roms évacués durant les six premiers mois de 2013, soit un niveau record. Pendant la campagne électorale du printemps 2012, François Hollande avait pourtant promis de mettre fin aux expulsions sauvages. 

4066

Nombre de personnes touchées lors de 42 expulsions menées en juillet et août. Des solutions temporaires de relogement ont été proposées dans 19 cas.

Source: Amnistie internationale

Des échos à Montréal

La montée de l'hostilité contre les Roms a eu des échos jusqu'à Montréal où on a pu entendre samedi le journaliste français Jean-François Kahn, interviewé par Joël Le Bigot à l'émission Samedi et rien d'autre, décrire Paris comme une ville dont «les rues sont totalement envahies par des familles de Roms qui mendient, couchent dehors, plus des jeunes qui volent dans le métro».

Dans sa revue hebdomadaire de l'actualité française, le journaliste commentait la montée du Front national et reprochait au gouvernement socialiste de «faire le jeu» du parti de Marine Le Pen par ses incohérences et son immobilisme. Par exemple, en refusant de s'attaquer au «tabou» des Roms, ce qui provoque un «traumatisme» favorisant, selon lui, la formation d'extrême droite.

«Un témoin direct»

L'animateur de l'émission n'a eu aucune réaction devant l'allusion à cette supposée «invasion» rom.

«Les propos tenus par l'invité Jean-François Kahn,  journaliste et auteur français bien connu, se situent dans le contexte d'une explication de la montée en popularité du Front national en France. Parmi plusieurs exemples qu'il a cités, l'invité exprimait sa perception d'une situation dont il est un témoin direct. Comme tous les médias, Radio-Canada n'endosse pas les opinions de ses invités. Par ailleurs, nous ne saurions réduire une entrevue de 10 minutes menée tambour battant à ces seuls propos», a expliqué jeudi à La Presse le directeur des relations publiques de Radio-Canada, Marc Pichette.

Environ 20 000 Roms originaires de Roumanie et de Bulgarie vivent en France, dont 5000 en région parisienne - des chiffres qui sont stables depuis plusieurs années. 

- Avec la collaboration d'Hugo Pilon-Larose