Jacques Vergès, un des avocats français les plus controversés et redoutés, est mort jeudi d'un arrêt cardiaque à l'âge de 88 ans, recevant un hommage quasi unanime de ses pairs, certains dénonçant cependant son attitude au procès de Klaus Barbie.

Décrit comme un «chevalier» de la défense, «courageux» et «indépendant», Me Vergès s'est éteint en début de soirée chez des amis à Paris, dans l'appartement où l'écrivain Voltaire mourut en 1778. Il est mort «dans la chambre de Voltaire. (...) Un lieu idéal pour le dernier coup de théâtre que devait être la mort de cet acteur-né», ont écrit dans un communiqué les éditions Pierre-Guillaume de Roux, qui avaient publié ses mémoires en février («De mon propre aveu - Souvenir et rêveries»).

Ce pénaliste narcissique et médiatique a eu une vie de personnage de roman : né dans l'actuelle Thaïlande d'un père réunionnais et d'une mère vietnamienne, résistant, membre du Parti communiste français qu'il quitte en 1957, car «trop tiède» sur l'Algérie (alors encore française), militant anticolonialiste, il s'était imposé comme le défenseur de personnalités condamnées par l'Histoire au motif que, selon lui, «les poseurs de bombes sont des poseurs de questions».

Il s'était rendu célèbre par sa «défense de rupture» - consistant à se servir du tribunal comme d'un porte-voix - adoptée pendant la guerre d'Algérie quand il était l'avocat de militants du FLN (Front de libération nationale, indépendantistes). Il épousera d'ailleurs Djamila Bouhired, héroïne de l'indépendance, condamnée à mort, mais finalement graciée.

De petite taille, rond, le visage lisse et ironique, coupe en brosse, portant de fines lunettes rondes, cet amateur de cigares, découverts grâce à Che Guevara, était proche de personnalités politiques du monde entier, mais aussi de militants de l'ombre.

Ses clients avaient un point commun : ils faisaient en général l'unanimité contre eux en Occident, à l'instar de membres de l'internationale terroriste des années 70 et 80, du «révolutionnaire» vénézuélien Carlos, de l'activiste libanais Georges Ibrahim Abdallah, du criminel de guerre nazi Klaus Barbie, du dictateur yougoslave Slobodan Milosevic et de l'ancien dirigeant Khmer rouge Kieu Samphan.

À la question «comment peut-on être l'avocat de Saddam Hussein ?», le président irakien renversé, posée par le quotidien France Soir en 2004, il avait répondu : «Défendre Saddam n'est pas une cause perdue. C'est défendre (le président américain George W.) Bush qui est une cause perdue».

Des bémols

De nombreux avocats français ont témoigné vendredi de leur admiration à l'égard de ce «géant» du barreau, qui a aussi conseillé de nombreux chefs d'État africains, du Malien Moussa Traoré à l'Ivoirien Laurent Gbagbo .

Le président du Conseil national des barreaux, Christian Charrière-Bournazel, a salué un «très brillant avocat», «courageux» et «indépendant». «Un avocat, ce n'est pas un mercenaire, c'est un chevalier, et Jacques Vergès était un chevalier», a-t-il assuré.

Avocate de Carlos, Isabelle Coutant-Peyre avait débuté en 1981 à ses côtés. «Cela a été une chance incroyable», a-t-elle déclaré à l'AFP, «il avait une vision politique exemplaire du métier d'avocat et une expérience unique dans les grandes luttes du XXe siècle».

«Il n'y a pas beaucoup de géants au barreau, mais lui incontestablement en était un», avec «une période glorieuse quand il défendait le FLN algérien et une moins glorieuse quand il a commencé à défendre des mouvances terroristes comme la bande à Baader», a jugé l'avocat Georges Kiejman.

Dans ce concert de louanges, des voix ont émis des bémols, en particulier pour dénoncer son attitude au procès de Klaus Barbie en 1987.

Me Alain Jakubowicz, qui représentait le Consistoire israélite de France devant la cour d'assises de Lyon (centre-est), a dit à l'AFP que, pour lui, Jacques Vergès «n'a jamais été un modèle d'avocat», estimant qu'il avait «tenu des propos inqualifiables» à ce procès.

«C'est un homme qui s'est amusé de la vie, il n'en avait rien à foutre des peuples opprimés, ce qui comptait c'était lui», a-t-il ajouté.

«Il est plus exact de qualifier Jacques Vergès de personnage que d'avocat, compte tenu des méthodes de défense très controversées qu'il avait adoptées depuis le procès Barbie», a déclaré à l'AFP Me Patrick Klugman, parlant d'un «immense acteur qui s'est servi de sa robe d'avocat pour illustrer les rôles qu'il s'était lui-même distribués».

Me Vergès a emporté avec lui son dernier secret : sa disparition pendant huit ans dans les années 70, un sujet sur lequel il n'a jamais voulu s'expliquer. Était-il aux côtés de Palestiniens ? Dans le Congo post-Lumumba ? Au Cambodge de Pol Pot ? Il s'est borné à évoquer de «grandes vacances très à l'est de la France».