Dans la torpeur qui gagne la France au mois d'août, la nouvelle a fait l'effet d'une bombe. Un organisme chargé de conseiller le gouvernement français sur les questions d'intégration recommande d'étendre l'interdiction du voile islamique jusqu'aux universités. Retour sur une proposition controversée qui pourrait refaire des vagues à la rentrée.

Fatima el Said a beau essayer de comprendre, elle n'y arrive pas. «En quoi il dérange, mon foulard? Il ne gêne personne, il ne pollue pas. Ce ne sont pas mes cheveux qui travaillent, mais mes mains!»

Croisée devant la Grande Mosquée de Paris, cette Marocaine d'origine a longtemps travaillé comme médiatrice interculturelle, en Italie. Pour exercer la même fonction en France, elle aurait dû enlever son hijab. Ce n'est pas une option pour cette musulmane pratiquante. Alors, elle fait des ménages et garde des enfants à la maison.

Quand elle a entendu parler de la proposition visant à bannir le hijab de l'université, la mère de trois enfants n'en revenait pas. Pour elle, «c'est une nouvelle preuve d'une guerre froide contre l'islam ».

Révélée lundi dernier par Le Monde, la recommandation émane du Haut Conseil à l'intégration - organisme qui avait le mandat de conseiller le gouvernement sur les questions liées à la laïcité. Mais qui a transféré cette responsabilité au nouvel Observatoire de la laïcité, en avril.

Dans ses cartons figurait un rapport d'une trentaine de pages, faisant état de hautes tensions religieuses dans les universités. Et jugeant que pour apaiser ces tensions, «les signes et tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse» devaient être chassés des universités. Dans le contexte français, tout le monde comprend qu'il s'agit surtout du hijab.

Divergences

Dès la publication du document, l'Observatoire de la laïcité s'est dissocié des conclusions de son prédécesseur. «C'est le rapport d'une instance qui n'est plus en fonction, c'est très peu étayé, ce n'est pas sérieux», s'insurge Nicolas Cadène, secrétaire général de l'Observatoire de la laïcité. Son organisme n'est aucunement lié par ces recommandations, assure-t-il en entrevue téléphonique. «Qu'on n'invente pas des problèmes là où il n'y en a pas», a tranché la ministre de l'Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso.

Sauf que son collègue Manuel Valls, ministre de l'Intérieur, a jugé les propositions du HCI «dignes d'intérêt.» Tandis qu'un sondage publié par Le Figaro laisse penser que plus des trois quarts des Français partagent son opinion.

Selon ce sondage, 78% s'opposent au port du voile islamique à l'université. Un rejet qui dépasse les 90% à droite de l'échiquier politique, et atteint 67% du côté gauche. «L'opposition est massive», dit François Kraus, de l'Institut français d'opinion publique (IFOP), qui a réalisé le sondage. Il en déduit qu'une majorité significative de l'opinion publique appuierait une loi antivoile dans l'enseignement supérieur.

«La France est plus laïque que le Québec. Nous ne sommes pas une société multiculturelle. C'est très net, ce n'est pas un objet de débat.»

Le fossé

Pourtant, le débat a bel et bien cours. Et il met en lumière le fossé qui sépare, en France, les laïcs purs et durs, et les tenants d'une approche plus souple devant les manifestations religieuses publiques. Selon l'Observatoire de la laïcité, il n'y a pas de crise religieuse dans les universités. «Seulement des cas isolés qui sont résolus par le dialogue», souligne Nicolas Cadène, qui craint qu'une nouvelle loi antivoile n'exclue des femmes des universités.

Après une série de «crises du voile» dans les écoles, la France a adopté, en 2004, une loi y interdisant la présence de «signes religieux ostentatoires ». Pourquoi ne pas étendre ce principe à l'enseignement supérieur?

«Parce que les élèves sont des mineurs susceptibles d'être manipulés par des adultes, alors que les universités sont fréquentées par des adultes en pleine possession de leurs moyens», dit Nicolas Cadène.

Les étudiantes d'universités sont des jeunes femmes «libres, instruites, qui connaissent leurs droits», renchérit Merzak el Bekkay, vice-président de la Fédération nationale des musulmans de France. Selon lui, la vraie crise n'est pas dans le voile: «C'est l'exclusion sociale, la précarité d'emploi. C'est de ça qu'il faut s'occuper.» «Qu'est-ce que tu en penses, de l'interdiction du voile à l'université?», demande Fatima el Said à sa fille de 10 ans, Yasmine, dans le parc devant la Grande Mosquée. Elle-même est convaincue qu'en rouvrant le débat sur le hijab, le gouvernement raterait sa cible. «Il ne ferait que tourner plus de gens vers la religion.»