Le conducteur du train dont le déraillement mercredi à Saint-Jacques de Compostelle, dans le nord de l'Espagne, a fait 78 morts, doit être présenté dimanche à un juge, accusé d'«homicide par imprudence».

Légèrement blessé dans l'accident, Francisco José Garzon Amo, âgé de 52 ans, est sorti de l'hôpital pour être transféré au commissariat, «arrêté pour des faits présumés d'homicide par imprudence», a annoncé le ministre espagnol de l'Intérieur, Jorge Fernandez Diaz.

Placé en garde à vue dès jeudi soir, il avait refusé vendredi de répondre aux questions des policiers. Il doit être entendu par un juge avant la fin de sa garde à vue dimanche soir.

Tandis que deux enquêtes, l'une judiciaire et l'autre administrative, ont été ouvertes pour tenter d'expliquer cette tragédie ferroviaire, la plus meurtrière en Espagne depuis 1944, les autorités mettaient en cause ce cheminot, qui travaille depuis trente ans à la compagnie publique des chemins de fer Renfe.

«Il y a des indices raisonnables pour considérer qu'il puisse avoir une éventuelle responsabilité dans ce qui s'est passé, ce que devront de toute façon déterminer le juge et l'enquête», a estimé le ministre, à l'occasion d'un déplacement sur les lieux de l'accident, où gisait encore la locomotive, coupée en deux sous la violence du choc.

«Déjà, quatre kilomètres avant le lieu de l'accident, il s'est vu notifier de commencer à ralentir», avait souligné auparavant le président du gestionnaire du réseau Adif, Gonzalo Ferre, sur la télévision nationale.

«À cet endroit passent six trains chaque jour et ce conducteur y est passé 60 fois, c'est-à-dire que sa connaissance de la ligne doit être exhaustive et maximale, à un endroit où la vitesse est limitée de manière permanente à 80 km/h», a renchéri le président de Renfe, Julio Gomez-Pomar Rodríguez, sur la télévision Antena 3.

Mais dans la petite ville galicienne de Monforte de Lemos, où vit le cheminot, certains de ses proches voulaient le défendre.

«C'est un excellent professionnel. C'est le premier accident qu'il ait jamais eu. Il n'a jamais commis la moindre faute», témoignait Antonio Rodriguez, un délégué syndical qui a rejoint la Renfe, la compagnie des chemins de fer espagnols, la même année que Garzon, en 1982.

L'accident s'est produit mercredi à 20 h 42 (14 h 42 heure de Montréal) au moment où le train, en provenance de Madrid, abordait un virage très serré à quatre kilomètres de la gare de Saint-Jacques de Compostelle.

Deux éléments jouent en la défaveur du conducteur: une retranscription d'une communication radio, révélée par le quotidien El Pais, dans laquelle il admet qu'il circulait à 190 km/h au lieu des 80 autorisés, et une vidéo de quelques secondes diffusée sur internet, semblant provenir d'une caméra de sécurité sur les voies et montrant un train qui surgit à toute vitesse à l'entrée du virage, puis sort des rails et se couche sur le côté.

Le journal El Mundo affirmait samedi, citant des sources proches de l'enquête, que le conducteur parlait au téléphone portable au moment du drame.

Le train, un modèle hybride (pouvant rouler sur des voies classiques ou adaptées aux grandes vitesses) fabriqué par l'Espagnol Talgo et le Canadien Bombardier, circulait sur une ligne à grande vitesse, mais sur un tronçon, en courbe et dans une zone urbaine, où la vitesse est réduite. À cet endroit, la voie n'est pas équipée d'un système de freinage automatique du train s'il dépasse la limite de vitesse.

Une lacune dénoncée par le secrétaire général du syndicat de conducteurs de trains Semaf, Juan Jesus Garcia Fraile, selon qui l'accident n'aurait «évidemment» pas eu lieu si ce tronçon avait été équipé du système adéquat.

Ville de pèlerinage mondialement célèbre, Saint-Jacques de Compostelle continuait de panser ses plaies après ce tragique accident.

Après avoir vécu les premiers enterrements vendredi, cette cité rendra hommage aux victimes dans une cérémonie lundi soir dans la cathédrale, devant laquelle fleurs et bougies ont été déposées par des fidèles anonymes.

L'accident a fait 78 morts, qui avaient tous été identifiés samedi en fin de journée. Les familles ont alors pu aller récupérer les bagages de leurs proches. En silence, le visage fermé, elles sortaient de la salle de sport aménagée à cet effet, en emportant les valises.

«C'est terrible, terrible. Dieu merci, ma soeur est vivante, mais j'ai passé sept heures terribles d'attente», lâchait une femme d'une cinquantaine d'années.

Huit étrangers figurent parmi les morts, un Français, un Algérien, une Mexicaine, un Américain, un Brésilien, une Vénézuélienne, une Dominicaine et un Italien.

Sur les 178 blessés, 71 étaient toujours hospitalisés, dont 31 dans un état grave.