L'assassinat sauvage du jeune Clément Méric par des militants d'extrême droite scandalise la France depuis la semaine dernière. Avec la crise sociale qui s'aggrave, l'opposition féroce au mariage gai et les incidents haineux qui se multiplient, le pays est-il en train de se radicaliser? Le débat fait rage.

«Ni oubli, ni pardon.» Comme des milliers de Parisiens, Chantal Cnudde a tenu à manifester le week-end dernier pour dénoncer le meurtre de Clément Méric, un militant antifasciste de 19 ans assassiné en pleine rue mercredi par de jeunes néonazis.

«Quand on apprend qu'ils étaient trois ou quatre à lui sauter dessus, on ne sait jamais, un jour, si cela ne va pas s'enflammer, a lancé la manifestante, engouffrée dans la foule en colère. On a beaucoup de raisons de s'enflammer ces jours-ci en France, qui sait quand cela va vraiment se produire?»

La question lancée par Chantal Cnudde est plus que jamais d'actualité. Plusieurs ici se demandent si l'assassinat du jeune Méric - sauvagement attaqué par quatre skinheads après une altercation dans une vente de vêtements - est un simple geste isolé, ou plutôt l'expression d'une radicalisation de la société française.

Chose certaine, les sympathisants d'extrême droite ont retrouvé une certaine liberté de parole ces derniers mois en France grâce au vigoureux mouvement d'opposition au mariage gai. Slogans homophobes, émeutes sur l'esplanade des Invalides, attaques de bars homosexuels: les «antis» les plus convaincus ont multiplié les coups d'éclat pour faire passer leur message.

Héloïse Duche, militante au front de gauche, est persuadée que la mouvance d'extrême droite a gagné en force - et en légitimité - avec ce débat. «Le gouvernement a laissé la rue à des mouvements extrémistes qui auparavant rasaient les murs», a-t-elle dénoncé samedi, alors que des bombes fumigènes commençaient à éclater dans la manifestation autour d'elle.

Mythe ou réalité?

Les experts interviewés par La Presse ne sont pas aussi catégoriques. Oui, le débat sur le mariage gai a ouvert la porte à toutes sortes d'excès, mais les néonazis comme ceux qui ont tué Clément Méric demeurent marginaux dans la société française, disent-ils en somme.

«A priori, ils ne sont pas plus nombreux qu'avant, mais ils sont davantage médiatisés et leur discours est plus en phase avec une certaine actualité», a fait valoir hier Magali Balent, chercheuse associée à l'IRIS et spécialiste des extrémismes et nationalismes en Europe.

Les extrémistes ont profité d'une série d'événements récents - comme le débat sur le mariage gai ou l'attaque d'un soldat français par un islamiste à Paris il y a deux semaines - pour obtenir une nouvelle tribune, ajoute Mme Balent. «Ça leur donne une visibilité et ça leur permet de faire entrer leur point de vue dans le débat public.»

Si l'épineux dossier du mariage gai a «rouvert une liberté de parole qui n'avait pas lieu d'être auparavant», Vincent Tiberj, chercheur à Sciences Po à Paris, croit néanmoins que la société française est beaucoup plus ouverte aujourd'hui qu'il y a quelques années.

«On observe un mouvement de crispation temporaire à court terme, mais un mouvement d'ouverture de la société à long terme, porté par l'élévation du niveau d'éducation», a-t-il noté.

Les militants d'extrême droite des Jeunesses nationalistes révolutionnaires (dont les assassins de Méric seraient des sympathisants) seraient à peine une cinquantaine à Paris, indique par ailleurs le chercheur. Une nuance reprise par Vincent Corbière, secrétaire national du Parti de Gauche et conseiller de Paris. Il estime lui aussi qu'il ne faut pas surévaluer le nombre des groupes extrémistes, malgré leur visibilité récente.

Ce qui inquiète surtout M. Corbière, c'est la «dédiabolisation» récente du Front national (FN), le parti d'extrême droite de Marine Le Pen. «Le résultat, c'est que tous ces groupes dans le sillage du FN ont maintenant voix au chapitre, a-t-il avancé en entrevue. Ça m'inquiète beaucoup, ce climat où tout est relativisé, tout est banalisé.»

Peu après l'assassinat de Clément Méric, Marine Le Pen s'est empressée de déclarer que le FN n'avait «aucun rapport, ni de près, ni de loin», avec ces événements.

«L'AFFAIRE MÉRIC» EN QUATRE TEMPS

LE CRIME



Clément Méric participait à une vente privée de vêtements dans un appartement parisien avec quelques amis, mercredi dernier, quand trois jeunes clairement identifiés à la mouvance skinhead sont entrés. Après quelques invectives entre les deux groupes, la dispute s'est transportée dans la rue. Avant même d'avoir commencé à se battre, le jeune militant d'extrême gauche a reçu un violent coup de poing qui l'a jeté par terre. Il a été déclaré en mort cérébrale le lendemain.



LA VICTIME

Malgré son jeune âge - 19 ans - et sa carrure gracile, Clément Méric en menait large dans le mouvement antifasciste parisien. L'étudiant de Sciences Po, membre du Réseau antifasciste Paris-banlieue, était très engagé dans la lutte contre les idées d'extrême droite. Le jeune homme avait aussi combattu avec succès un cancer pendant sa première année d'université. «Il n'est pas tolérable qu'en France, en 2013, on puisse tomber sous les coups de la haine et du fanatisme», a dénoncé son ancien professeur d'histoire, Amaury Chauou, dans une lettre ouverte à Libération.

LES ACCUSÉS

Le principal accusé, Esteban Morillo, est un jeune skinhead de 20 ans. C'est lui qui aurait infligé le coup mortel à Clément Méric - avec un poing américain, selon certaines sources. Né dans le sud de l'Espagne, il s'est fait remarquer dans son village pour son crâne rasé et ses saluts hitlériens. Il a été accusé de «violences volontaires» ayant causé la mort et est passible de 20 ans de prison. Au moins cinq interpellations ont eu lieu auprès de divers complices présumés du crime.

LE GOUVERNEMENT

Le gouvernement socialiste de François Hollande n'a pas tardé à dénoncer cette agression. Le premier ministre Jean-Marc Ayrault a aussi demandé samedi à son ministre de l'Intérieur la dissolution immédiate des Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR), un mouvement d'extrême droite. Quatre des cinq personnes interpellées dans le cadre de cette affaire ont admis être des sympathisants du groupuscule Troisième Voie, affilié aux JNR.