L'opposant à Vladimir Poutine et champion d'échecs Garry Kasparov a annoncé depuis Genève qu'il ne rentrerait pas en Russie, par crainte de poursuites judiciaires pour ses activités politiques, selon une vidéo postée jeudi sur son site www.kasparov.com.

«Si je reviens à Moscou, je doute sérieusement d'avoir encore la possibilité de sortir du pays. Pour le moment, je m'abstiens de retourner en Russie», a déclaré l'ancien champion du monde d'échecs, ajoutant qu'il risquait d'être poursuivi comme d'autres opposants russes.

Garry Kasparov, 50 ans, l'un des fondateurs des mouvements d'opposition L'Autre Russie et Solidarité a annoncé sa décision mardi à Genève, où il était venu recevoir un prix le récompensant pour son engagement en faveur des droits de l'homme en Russie.

Devenu l'un des principaux opposants du Kremlin - il faut «libérer le pays de la dictature de Poutine», affirme-t-il -, il s'était mis en retrait ces dernières années et se faisait surtout le porte-parole de l'opposition à l'étranger.

Il avait cependant participé à une grande manifestation anti-Poutine le 6 mai 2012 qui s'était terminée par des heurts avec la police.

Le procès de douze personnes accusées de «participation ou incitation à des troubles massifs» lors de cette manifestation s'est ouvert jeudi à Moscou, une affaire considérée par l'opposition comme emblématique des répressions contre les contestataires en Russie.

Selon un proche de Garry Kasparov, cité par le Moscow Times, Sergueï Davidis, l'ancien champion d'échecs a été convoqué comme témoin dans le cadre de l'enquête sur cette manifestation.

Le puissant comité d'enquête a ironisé jeudi sur la décision de Kasparov.

«Je vais réjouir Kasparov ou peut-être le chagriner (...)Il ne représente aucun intérêt pour les enquêteurs», a déclaré le porte-parole du comité Vladimir Markine cité par l'agence Itar-Tass.

En août dernier, Kasparov avait été interpellé par la police à Moscou devant le tribunal qui avait condamné à deux ans de camp trois jeunes femmes du groupe punk rock Pussy Riot pour une «prière» anti-Poutine chantée dans la cathédrale du Christ-Sauveur.

Il avait été jugé quelques jours plus tard pour «organisation illégale de manifestation», la police l'accusant d'avoir crié des slogans politiques, mais il avait alors été relaxé.

L'opposant avait été également accusé d'avoir «mordu des policiers» au doigt lors de son interpellation, un délit pour lequel il risque cinq ans de camp.

M. Kasparov nie les faits et accuse la police de l'avoir interpellé sans raison et de l'avoir battu.

«On ne peut pas cacher l'affaire du doigt (du policier) et je ne peux que conseiller à nos collègues occidentaux de faire attention à Kasparov. Il peut mordre», a déclaré M. Markine du comité d'enquête.

En 2007, il avait passé cinq jours en prison à Moscou pour «manifestation interdite».

Garry Kasparov suit ainsi l'exemple de plusieurs opposants et personnalités indépendantes qui ont choisi ces derniers mois de quitter la Russie par peur d'être arrêtés.

Plusieurs militants de l'opposition et des blogueurs contestataires se sont réfugiés aux Pays-Bas, en Ukraine ou dans les pays baltes.

Parmi eux, Mikhaïl Maglov, du mouvement Solidarité créé par Kasparov, qui a demandé l'asile politique en Ukraine par crainte d'être arrêté dans le cadre de l'affaire des «troubles massifs» du 6 mai 2012.

Un ancien séminariste orthodoxe, s'estimant victime de persécutions pour avoir pris la défense des Pussy Riot, a obtenu l'asile politique en République tchèque fin mai.

Enfin, Sergueï Gouriev, un économiste de réputation internationale, recteur de la Nouvelle école d'économie à Moscou, et considéré comme un pilier de l'aile libérale de l'establishment russe, a annoncé la semaine dernière qu'il restait en France et ne retournait pas à Moscou, abandonnant toutes ses fonctions, par crainte d'être arrêté.

M. Gouriev, qui a manifesté son soutien à l'opposant numéro un à Vladimir Poutine, Alexeï Navalny, a été interrogé à plusieurs reprises ces derniers mois et fait l'objet d'une perquisition dans le cadre d'un dossier concernant Mikhaïl Khodorkovski - l'oligarque déchu, détenu depuis 2003.

L'économiste a fait partie d'un groupe d'experts mandaté par les autorités russes pour étudier le bien-fondé de la deuxième condamnation de M. Khodorkovski et qui avait conclu que cette condamnation (qui le maintient en détention jusqu'en 2014) était infondée.

Depuis son retour au Kremlin il y a un an pour un nouveau mandat de président, Vladimir Poutine a adopté une politique très ferme envers l'opposition.

Par ailleurs, le Kremlin a fait adopter une série de lois considérées comme liberticides par l'opposition, et très critiquées par l'UE et les États-Unis.