Deux importants syndicats devaient rejoindre mercredi les manifestants qui demandent la démission du premier ministre Recep Tayyip Erdogan dans toute la Turquie, où des dizaines de milliers de personnes continuaient d'occuper la rue, pour la sixième journée consécutive.

Au lendemain d'une nouvelle nuit de mobilisation et de violences, la Confédération des syndicats du secteur public (KESK) et la Confédération syndicale des ouvriers révolutionnaires (DISK), marquées à gauche, ont annoncé pour la mi-journée des marches de protestation et des grèves dans les grandes villes du pays.

Dans l'attente du retour jeudi en Turquie du chef du gouvernement, en visite officielle au Maghreb, les protestataires restent plus que jamais déterminés à montrer leur force, malgré les «excuses» présentées par le vice-premier ministre Bülent Arinç aux victimes de brutalité policière des derniers jours.

M. Arinç devait rencontrer mercredi à la mi-journée à Ankara des responsables du collectif de défense du parc Gezi, ce jardin public proche de Taksim dont le projet de destruction a allumé la mèche de la fronde vendredi.

«Nous voulons des excuses du premier ministre Erdogan. Nous voulons la libération des personnes qui ont été arrêtées. Nous voulons la démission du gouverneur d'Istanbul, du chef de la police et du premier ministre», a dit mercredi à l'AFP Kerem Aligil, un manifestant étudiant, «nous voulons tout ça et ensuite seulement nous envisagerons de ne plus manifester».

Comme c'est devenu la tradition, des milliers de personnes ont encore envahi mardi soir l'emblématique place Taksim d'Istanbul, le coeur de la contestation, et les rues de la capitale Ankara en scandant des slogans réclamant le départ de M. Erdogan.

Des milliers de manifestants ont également défilé à Izmir, Bursa (ouest) ou encore Hatay (sud), ainsi que dans des villes plus petites.

Et comme les nuits précédentes, des affrontements ont à nouveau éclaté à Istanbul et Ankara. Les forces de l'ordre ont dispersé à grand renfort de gaz lacrymogènes et de canons à eau quelques centaines de manifestants qui tentaient de s'approcher des bureaux du chef du gouvernement.

Dans ces deux villes, la masse des manifestants est restée à distance de la police, respectant les appels au calme des réseaux sociaux. Seuls des militants plus politisés ont été «au contact» des forces de l'ordre.

Twitter dans le collimateur

«Les manifestations de la nuit ont surtout été organisées par des groupes radicaux. Nous, nous avons voulu rester à distance», a expliqué à l'AFP Gamze Güven, une dentiste d'Ankara, «ce sont surtout les plus jeunes qui ont attaqué la police».

Des heurts ont également eu lieu dans la ville de Hatay (sud-est) à la frontière syrienne où un jeune homme de 22 ans est décédé la veille après avoir été blessé lors d'une manifestation. Selon la chaîne de télévision privée NTV, deux policiers et trois manifestants ont été blessés mercredi à Hatay.

Comme les jours précédents, des affrontements ont à nouveau éclaté à Ankara mercredi en fin de journée. Les forces de l'ordre ont dispersé à grand renfort de gaz lacrymogènes et de canons à eau plusieurs milliers de manifestants.

Deux personnes sont mortes et plus de 2.800 ont été blessées dans les seules villes d'Istanbul, d'Ankara et d'Izmir (ouest) depuis les premiers affrontements de vendredi, selon les ONG de défense des droits de l'homme turques et internationales.

Ces chiffres n'ont pas été confirmés par les autorités, dont le plus récent bilan mardi faisait état de «plus de 300» blessés, en majorité des policiers.

Piqué au vif par les critiques de plusieurs pays dénonçant le recours «excessif» à la force par la police turque, le ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, a assuré mardi soir à son homologue américain John Kerry que son pays n'était pas «une démocratie de seconde zone», selon un diplomate turc.

Dans un entretien téléphonique, M. Davutoglu a également assuré qu'une enquête officielle était en cours sur les agissements de certains policiers.

Tôt mercredi matin, au moins 25 personnes ont été interpellées à Izmir (ouest) pour avoir répandu sur le réseau social Twitter des «informations trompeuses et diffamatoires», a rapporté l'agence de presse Anatolie. Ali Engin, un responsable local du principal parti d'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP), a déclaré que les suspects étaient détenus pour avoir «appelé les gens à manifester».

Dimanche, M. Erdogan avait pesté publiquement contre Twitter et les réseaux sociaux, les qualifiant de «faiseurs de problèmes».

À l'opposé du ton ferme du premier ministre, son numéro deux Bülent Arinç a qualifié mardi de «légitimes» les revendications écologistes à l'origine des troubles et en assurant que son parti islamo-conservateur respectait «les différents modes de vie» des Turcs.

Depuis le début de la contestation vendredi dernier, les manifestants accusent M. Erdogan de dérives autoritaires et de vouloir «islamiser» la Turquie laïque.

«Nous n'avons pas le droit ou le luxe d'ignorer le peuple, les démocraties ne peuvent pas exister sans opposition», a également souligné M. Arinç.

M. Erdogan, qui est resté muet mardi sur les événements, doit rentrer de Tunisie jeudi.

Hormis les deux personnes décédées dimanche et lundi, les violences des quatre derniers jours ont fait plus de 1500 blessés à Istanbul et au moins 700 à Ankara, selon les organisations de défense des droits de l'Homme et les syndicats de médecins, des chiffres qui n'ont pas été confirmés par les autorités.

PHOTO BULENT KILIC, AFP

Comme c'est devenu la tradition, des milliers de personnes ont encore envahi mardi soir l'emblématique place Taksim d'Istanbul, le coeur de la contestation, et les rues de la capitale Ankara en scandant des slogans réclamant le départ de M. Erdogan.