Dans une scène rappelant le Printemps arabe, des milliers de personnes ont envahi samedi la principale place d'Istanbul, après qu'une intervention policière musclée contre une manifestation antigouvernementale eut transformé les rues de la ville en un champ de bataille parsemé de volutes de gaz lacrymogène.

Bien qu'il a offert certaines concessions aux protestataires, le premier ministre Recep Tayyip Erdogan est demeuré majoritairement opposé à la plus grande contestation de son autorité après une décennie au pouvoir, insistant sur le fait que les manifestations étaient antidémocratiques et non légitimes.

La colère publique a gagné les Turcs urbains et séculiers après que la police eut violemment chargé un sit-in anti-développement urbain dans la place Taksim. Les manifestations se sont répandues dans plusieurs dizaines d'autres villes, alors que les protestataires dénonçaient ce qu'ils perçoivent comme une attitude de plus en plus autoritaire de la part de M. Erdogan.

Alors que les manifestations en étaient à leur deuxième jour, la police a lancé des gaz lacrymogènes et a utilisé des canons à eau contre les protestataires en colère, dont certains ont projeté des pierres et des bouteilles tandis qu'ils se dirigeaient vers la place Taksim.

Dans un quartier habituellement bourdonnant de touristes, les magasins étaient fermés et les manifestants tentaient de trouver refuge dans les hôtels de luxe. Plusieurs centaines de personnes ont été arrêtées ou blessées.

Les autorités turques ont plus tard retiré les barricades et ont permis à des milliers d'individus de se rendre sur la place pour calmer les tensions.

Le premier ministre Erdogan a assuré que les plans de redéveloppement urbain iraient malgré tout de l'avant, au grand dam des manifestants qui craignent de voir disparaître l'un des rares espaces verts de la métropole.

Il a ajouté que les protestataires étaient une «minorité» qui tentait d'imposer des demandes par la force et a défié l'opposition en affirmant pouvoir réunir un million de manifestants progouvernement.

«Je n'avance pas qu'un gouvernement ayant reçu la majorité des voix possédait des pouvoirs illimités, et peut faire tout ce qu'il veut, a-t-il dit lors d'un discours télévisé. Tout comme la majorité ne peut imposer sa volonté à la minorité, la minorité ne peut faire de même envers la majorité.»

Sous le leadership de M. Erdogan, la Turquie a accru sa croissance économique et son importance sur la scène internationale, occupant un rôle centrale dans un monde politique arabe post-Printemps révolutionnaire.

Bien que largement appuyé par les habitants des régions rurales et les musulmans conservateurs, il demeure une figure qui divise, principalement au sein de la population laïque, et est critiqué pour son style souvent acerbe.

Le ministre de l'Intérieur Muammer Guler a fait savoir que plus de 900 personnes avaient été détenues lors des manifestations, mais que certaines d'entre elles avaient été relâchées après interrogatoire. Il n'a pas précisé combien ont été détenues.

Les manifestations se sont étendues dans 48 villes, a-t-il ajouté.

Des heurts sporadiques se sont poursuivis entre la police et les protestataires qui tentaient d'approcher du bureau du premier ministre à Istanbul, situé dans un ancien palais ottoman.

Bien que les scènes à la place Taksim ressemblent à celles de la place Tahrir, le centre de la révolte qui a signé la fin du règne du dirigeant égyptien Hosni Moubarak, les manifestations ne risquent pas de provoquer la chute du gouvernement Erdogan, a précisé un analyste.

Selon Ahmet Cigdem, un professeur de sciences politiques, il s'agirait plutôt d'un avertissement.