L'enquête en était à ses balbutiements jeudi au lendemain du meurtre d'un soldat à Londres, mais les spécialistes redoutent que les deux auteurs de l'attaque ne soient que des «loups solitaires» fanatisés par la propagande d'Al-Qaïda, et qui représentent un cauchemar sécuritaire.

Les deux jeunes noirs ont été arrêtés et hospitalisés sous bonne garde après avoir été blessés par la police.

En l'absence d'indications officielles sur leur profil et sur les résultats de perquisitions en cours, les experts se fondaient sur leur mode opératoire particulièrement brutal, leurs déclarations inspirées de la rhétorique djihadiste, et leur souci de mise en scène et de publicité, voire leur aspiration au martyre, pour estimer être en présence de «loups solitaires».

Des «individus franchisés» parfois affublés du sobriquet de «terroristes Nike», en cela qu'ils semblent inspirés du slogan de la célèbre marque sportive : «Just do it».

Des isolés endoctrinés par les forums internet qui diffusent les vidéos sanglantes de décapitations et autres exécutions filmées en Syrie, en Afghanistan ou en Irak. Une influence également relevée au moment de la tuerie déclenchée par l'islamiste Mohamed Merah en France l'an dernier, ou de l'attentat contre le marathon de Boston attribué le mois dernier aux deux frères Tsarnaev d'origine tchétchène.

«Ce sont ces loups solitaires qui vont empêcher les forces de sécurité de dormir la nuit», prédisait l'an dernier, dans des déclarations à l'AFP, Margaret Gilmore, spécialiste des questions de sécurité à l'institut de recherches Royal United Services Institute (RUSI).

À la même époque, le chef du MI5 (service de renseignement intérieur), Sir Jonathan Evans, adressait un avertissement solennel sur le péril représenté par ces «acteurs isolés», particulièrement difficiles à détecter quand ils font (comme mercredi) usage d'armes rudimentaires, n'appartiennent pas forcément à un réseau, et n'ont pas participé à des stages d'entraînement à l'étranger.

Le RUSI a récemment évalué à environ 600 le nombre des Européens participant aujourd'hui aux combats contre le régime du président syrien Bachar al-Assad, mais, dans le même temps, il a reconnu la difficulté de suivre la trace «des individus franchisés».

«Il me semble qu'il s'agit là d'une action se démarquant du type d'attaque habituelle, et des plans terroristes visant à causer un maximum de victimes», a commenté sur la BBC John O'Connor, ancien commandant de l'unité de lutte contre la grande criminalité «Flying squad», à Scotland Yard, à propos de l'attentat de mercredi.

Mode opératoire

Les experts ont établi un parallèle entre le comportement des deux meurtriers londoniens qui se sont acharnés à coups de couteau de cuisine et de hachoir de boucher sur le corps de leur victime, s'employant à la décapiter selon plusieurs témoins, et les actes de fanatiques islamistes dans les vidéos circulant sur internet.

Le fait qu'ils aient pris pour cible un soldat «sans essayer d'attaquer qui que ce soit d'autre dans les parages» est particulièrement relevé par Matthew Henman, analyste au groupe de défense Jane's. «Je dois dire que la manière dont ils ont agi me rappelle Merah en France. La démarche semble guidée par le hasard, mais elle obéit à un objectif politique», a commenté à l'AFP John Gearson, directeur du centre de recherche sur la défense au prestigieux King's college de Londres. «S'en prendre à un soldat est extrêmement significatif».

«Le fait que les assaillants n'ont pas cherché à fuir les lieux» ainsi que leurs efforts «en vue de donner un maximum de publicité à leur attaque» sont également révélateurs, souligne aussi Matthew Henman.

Les deux auteurs ont de fait invité les nombreux témoins à filmer et photographier la scène. «Nous avons agi ainsi pour la seule raison que des musulmans meurent tués par des soldats britanniques au quotidien», a expliqué l'un d'entre eux, empruntant la rhétorique classique d'Al-Qaïda contre l'intervention de forces occidentales dans des pays musulmans.

Ils ont attendu l'arrivée de la police «peut-être dans l'espoir d'être abattus (...) et d'être considérés comme des martyrs», a encore dit M. Henman.

Quoi qu'il en soit, le discours et les images des meurtriers armés de couteaux, aux mains ensanglantées, ont déferlé sur les réseaux sociaux.

La priorité des autorités sera désormais de déterminer s'il faut s'attendre à d'autres attaques du même type.

L'attentat est le premier mortel attribué à des islamistes depuis ceux à l'explosif contre un bus et le métro londoniens qui ont fait 52 morts le 7 juillet 2005.

Depuis lors, les services de sécurité ont accentué la surveillance électronique et les contrôles aux frontières.

Ils ont aussi déjoué une dizaine de projets d'attentat, notamment contre des soldats ou des installations militaires.