La Finlande s'interroge sur la place à laisser à l'anglais dans l'enseignement supérieur, à un moment où une école formant l'élite économique du pays a décidé de passer au tout anglais en fin d'études.

Début mars, l'école de commerce d'Helsinki a provoqué un tollé en annonçant l'abandon à la rentrée 2013 des deux langues officielles du pays, le finnois et le suédois, au profit de l'anglais.

Cela ne concerne que les étudiants de master, mais dans un pays où deux langues sont garanties par la constitution, cette victoire d'une troisième a secoué le monde universitaire.

«Tout enseigner en anglais, c'est trop. Le finnois doit être préservé comme langue universitaire», estime une étudiante de l'école, Paula Kasurinen, 25 ans, attablée à la cafétéria.

«Je trouve normal qu'un établissement comme le nôtre, considéré comme l'un des meilleurs de Finlande, veuille que ses élèves parlent bien anglais. Beaucoup d'entre nous travailleront dans cette langue, il faut bien la maîtriser», avance en revanche Vilma Haemaelaeinen, étudiante de 23 ans.

Mais, réplique Paula, «dans les cours en anglais, les professeurs ont parfois un accent très mauvais. Ce n'est pas la meilleure des manières d'améliorer notre niveau!»

«Au niveau licence, il y aura toujours des cours en finnois, pour l'enseignement des concepts basiques. Mais il faut nous comprendre: les compétences linguistiques de nos étudiants deviennent de plus en plus importantes», se défend Martti Raevaara, vice-président chargé des affaires universitaires de l'Université d'Aalto, à laquelle est rattachée l'école de commerce de 3600 étudiants.

«Cela nous permettra aussi d'accueillir plus d'étudiants et d'enseignants étrangers», ajoute-t-il.

Le nombre de cours enseignés en anglais, sous l'impulsion du ministère de l'Education nationale, augmente dans toutes les universités du pays. L'école de commerce sera toutefois la première à lancer un programme entièrement en anglais.

Pour Pirkko Nuolijaervi, 64 ans, directrice de l'Institut des langues de Finlande, chargée de mettre à jour régulièrement grâce à des dictionnaires le vocabulaire finnois et suédois, la langue de Shakespeare gagne trop de terrain.

«Evidemment, nous n'avons rien contre des cours enseignés en anglais! Mais le risque est que dans certains domaines académiques, nous n'utilisions plus du tout le finnois ou le suédois», déplore-t-elle.

Encore plus véhéments, les partisans d'une protection renforcée des langues officielles de la Finlande, notamment du finnois, parlé par 95% de la population, assurent que l'initiative de l'école de commerce est illégale.

«D'après la loi finlandaise, la langue d'enseignement principale dans les universités doit être le finnois ou le suédois. Elles peuvent utiliser d'autres langues en plus de celles-ci, mais ne peuvent pas complètement les remplacer», s'insurge Jussi Niinistö, député du parti d'extrême droite des Vrais Finlandais.

Il rappelle que seules «cinq millions de personnes dans le monde» parlent finnois.

Pour Olli Maeenpaeae, professeur de droit à l'Université d'Helsinki, cette loi devrait vite «être amendée pour permettre une plus grande souplesse dans l'utilisation des langues à l'université».

Comme dans d'autres pays d'Europe, l'anglais a déjà pris d'assaut la télévision, à la faveur de la diffusion de séries et films américains sous-titrés.

Taina Saarinen, professeur à l'Université de Jyväskylä dont les recherches portent sur l'utilisation des langues dans l'enseignement supérieur, note que la Finlande n'est pas le seul pays à devoir faire plus de place à l'anglais. «Il a toujours existé une langue dominante, utilisée par la communauté scientifique partout dans le monde», rappelle-t-il.

«Au fil des siècles, les Finlandais ont dû se battre, contre l'empire suédois d'abord, puis contre les Russes, pour pouvoir utiliser le finnois comme langue officielle, administrative. Ils craignent peut-être qu'aujourd'hui, cela leur échappe à nouveau», explique la directrice des relations internationales de l'Université d'Aalto, Mari-Anna Suurmunne.

La France connaît actuellement un débat passionné sur la place du français dans son enseignement supérieur. Dans un projet de loi, le gouvernement souhaite donner un cadre juridique aux «moins de 1% des cours» dispensés en anglais.