L'ancienne première ministre ukrainienne Ioulia Timochenko, incarcérée pour abus de pouvoir, a obtenu mardi la condamnation de son pays par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), qui a estimé à l'unanimité que son placement en détention provisoire en 2011 avait été «illégal et arbitraire».

L'avocat de l'opposante, Sergui Vlassenko, a aussitôt appelé le président ukrainien Viktor Ianoukovitch à en tirer les conséquences, en libérant «immédiatement» sa cliente.

«J'appelle le président Ianoukovitch à ne pas faire appel, à appliquer cette décision. Et la seule façon de le faire, c'est de libérer Mme Timochenko immédiatement», a-t-il martelé.

De son côté la fille de l'opposante, Evguénia, réagissant depuis Kiev, a vu dans cette décision une «première victoire».

Les juges européens ont estimé que la détention provisoire de l'ancienne première ministre avait été arbitraire, car ordonnée «pour une période indéterminée», et alors que Mme Timochenko n'avait pas contrevenu aux mesures de contrôle judiciaire qui lui étaient imposées. En outre, l'opposante n'a pas eu la possibilité de contester en justice la légalité de sa détention, a relevé la Cour.

Surtout, elle a relevé que l'incarcération de celle «qui dirigeait l'un des principaux partis d'opposition» n'avait pas été motivée par le risque de la voir se soustraire à l'autorité judiciaire, mais par «d'autres motifs».

«De nombreux observateurs en Ukraine et à l'étranger (...) ont considéré que ces événements s'inscrivaient dans le cadre de la persécution à caractère politique des leaders de l'opposition en Ukraine», ont noté les juges à ce propos.

Mme Timochenko, ancienne égérie de la Révolution orange de 2004, a par la suite été condamnée de manière définitive en août 2012 à sept ans de prison pour abus de pouvoir.

La CEDH a en revanche rejeté les griefs allégués par l'opposante sur les mauvais traitements ou la privation de soins médicaux qu'elle aurait subis en prison.

La décision annoncée mardi n'est pas définitive : les deux parties ont trois mois pour demander un nouvel examen de l'affaire par l'instance suprême de la CEDH, la Grande chambre, que celle-ci n'est toutefois pas tenue de leur accorder.

À Kiev, cet arrêt devrait être scruté avec d'autant plus d'attention que, en juillet dernier, la Cour européenne avait donné raison à un autre opposant détenu. Elle avait qualifié d'arbitraire l'arrestation en 2010 d'un proche de Mme Timochenko, l'ancien ministre Iouri Loutsenko, et sa détention avant son procès.

M. Loutsenko vient finalement d'être gracié et libéré, le 7 avril. Une décision qui pourrait être interprétée comme un signe que le pouvoir ukrainien «pense sérieusement» à signer à l'automne prochain un accord d'association avec l'Union européenne, selon l'ex-président polonais Aleksander Kwasniewski, aujourd'hui envoyé spécial du Parlement européen en Ukraine, et qui pourrait inciter à l'optimisme pour Ioulia Timochenko.

Le président ukrainien Viktor Ianoukovitch a cependant averti, après la grâce accordée à M. Loutsenko, qu'il était «impossible» d'étendre le bénéfice d'une telle mesure à Mme Timochenko, car celle-ci doit encore être jugée dans le cadre de deux autres procédures : l'une pour fraude fiscale, l'autre pour complicité d'assassinat d'un député en 1996.

L'avocat de l'intéressée a par ailleurs estimé mardi à Strasbourg qu'il était «difficile de faire des pronostics» sur la manière dont les autorités à Kiev réagiront à cet arrêt, dans une affaire où «tout dépend de la volonté d'une seule personne», c'est-à-dire selon lui le chef de l'État.

«Le président a peur de Mme Timochenko, car elle est la seule personnalité politique susceptible de le battre dans n'importe quelle élection. C'est pour cela qu'elle est en prison!», a estimé Me Vlassenko.

Les poursuites à l'encontre de l'ancienne chef de gouvernement ont provoqué une grave crise entre l'Ukraine et l'Union européenne, qui voit des motivations politiques dans ces affaires et demande la libération de l'opposante. Le Conseil de l'Europe, réunissant 47 pays (dont l'Ukraine depuis 1995) et dont la CEDH est le bras judiciaire, a également plusieurs fois pris fait et cause pour Mme Timochenko.