Des milliers de personnes ont commémoré mercredi les massacres d'Arméniens survenus il y a 98 ans sous l'Empire ottoman, un génocide selon Erevan, terme rejeté par la Turquie.

Une énorme foule a afflué dès le matin vers un mémorial au sommet d'une colline de la capitale arménienne pour y déposer des fleurs devant la flamme éternelle symbolisant la mémoire des disparus. La cérémonie a été retransmise par toutes les chaînes de télévision du pays.

«Nous nous inclinons aujourd'hui à la mémoire de victimes innocentes», a déclaré le président Serge Sarkissian.

«Il est de notre devoir de réaliser et d'attirer l'attention de la communauté internationale sur le fait que le déni du génocide est une perpétuation de ce crime», a-t-il ajouté, dans une claire attaque en direction d'Ankara.

Dans la nuit de mardi à mercredi, de jeunes militants du parti nationaliste Dachnaktsoutioun ont brûlé des drapeaux turcs et mené une procession de 10 000 personnes, munies de torches, dans Erevan.

«Chaque torche symbolise notre lutte éternelle. Nous n'oublierons jamais que le sang d'innocentes victimes a été versé», a déclaré à l'AFP l'un des participants à la marche, Achot Kazarian, 23 ans.

Erevan cherche depuis longtemps à faire reconnaître sur la scène internationale le génocide de sa population.

Nombre de pays l'ont reconnu, dont la France en 2001.

Le Parlement européen l'avait reconnu en 1987.

La Turquie de son côté réfute le terme de génocide, même si elle reconnaît des massacres.

Pour les Arméniens, le génocide a fait plus de 1,5 million de morts, alors que la Turquie ne reconnaît qu'entre 300 000 et 500 000 morts.

Ankara fait valoir qu'il s'agissait d'une répression contre une population coupable de collaboration avec l'ennemi russe pendant la Première Guerre mondiale, et que des dizaines de milliers de Turcs ont aussi été tués par les Arméniens.

«Les massacres» commémorés en Turquie

Plusieurs manifestations ont commémoré mercredi sur le sol turc le souvenir des massacres d'Arméniens par l'Empire ottoman en 1915, un phénomène nouveau qui accroît la pression sur la Turquie pour qu'elle reconnaisse, près d'un siècle plus tard, leur caractère de génocide.

Pour les milliers de touristes étrangers qui se rendaient de la basilique Sainte-Sophie à la Mosquée bleue, le petit groupe qui s'est constitué à deux pas de là, devant un musée en travaux, est passé quasiment inaperçu.

À peine une grosse centaine de personnes bardées de pancartes et de portraits. Cette année encore, ce rassemblement est resté confidentiel. Bien loin des cérémonies officielles, présidées par le chef de l'État Serge Sarkissian, qui ont réuni mercredi une foule énorme à Erevan, la capitale arménienne.

Mais depuis sa première édition il y a cinq ans, la commémoration du 24 avril réunit à Istanbul de plus en plus d'Arméniens de la diaspora et surtout de Turcs, qu'ils soient d'origine arménienne ou pas. Le signe que la perception de cet épisode historique controversé est en train de changer.

«Il y a dix ans, une telle manifestation était impossible en Turquie. Il y a deux ans, nous n'étions qu'une quinzaine, aujourd'hui nous sommes près de 200. C'est le signe que les mentalités changent», s'est réjoui Benjamin Abtan, président du Mouvement européen antiraciste (EGAM).

Pour la première fois cette année, des associations d'Arméniens de la diaspora et des ONG européennes de lutte contre les discriminations se sont associées aux célébrations du 24 avril organisées par la société civile turque.

Ensemble, elles ont déposé une gerbe sur la tombe d'un sous-préfet de l'Empire ottoman, Faik Ali Ozansoy, qu'elles considèrent comme un «juste» pour avoir refusé d'exécuter les ordres de déportation en 1915.

Autre nouveauté, la commémoration d'Istanbul a fait cette année des petits dans le reste du pays avec, pour la première fois, des manifestations autorisées à Mersin (sud), Adana (sud), Izmir (ouest), Malatya (est) ou Tunceli (est).

Évolution

Dans ces villes, une organisation kurde, le Congrès démocratique des peuples, a lu une déclaration appelant à se «souvenir du génocide et ressentir dans nos coeurs la douleur de ce qui a eu lieu».

De son côté, le Parti kurde pour la paix et la démocratie (BDP) a appelé le pays à «faire face à son histoire et à présenter des excuses».

Comme ses prédécesseurs, l'actuel gouvernement islamo-conservateur refuse de qualifier de génocide les massacres de 1915 et dénonce tous les pays qui adoptent des législations réprimant la négation de leur caractère génocidaire.

Un homme, qui a brièvement perturbé la cérémonie d'Istanbul en criant «le peuple turc n'a jamais commis de génocide», est venu rappeler mercredi que le point de vue «officiel» était encore largement partagé. Et les grands médias turcs sont restés plutôt discrets sur ce thème.

Mais la société civile turque veut croire à une évolution. «Il y a cinq ans, nous avions publié une pétition appelant le gouvernement à présenter ses excuses, mais sans parler de "génocide"», a souligné le responsable de l'ONG turque DurDe, Levent Sensever, «aujourd'hui nous pouvons écrire ce mot».

«La population turque demande davantage de démocratie, un meilleur respect des droits de l'homme», a expliqué M. Abtan, «je crois que la reconnaissance du génocide est devenue possible».

«Maintenant que nous pouvons organiser ce type de commémoration, nous souhaiterions y voir des officiels», a renchéri Nicolas Tavitian, responsable d'une association culturelle arménienne européenne (AGBU), «et, un jour, un premier ministre turc y prononcer un discours».

Pour M. Sensever, le centenaire du génocide, dans deux ans, pourrait servir d'accélérateur. «En 2015, le gouvernement sera sous la pression et sous le feu des critiques», a-t-il estimé, «il va devoir évoluer».