Les défenseurs de la liberté de la presse ont dénoncé mardi l'impunité qui règne selon eux en Russie, après la mort du journaliste Mikhaïl Beketov des suites d'une violente agression commise en 2008, deux ans après le meurtre d'Anna Politkovskaïa.

Rédacteur en chef d'un journal de la banlieue moscovite de Khimki, Mikhaïl Beketov, 55 ans, avait relayé des accusations de corruption contre un projet d'autoroute controversé défendu par l'administration locale.

En novembre 2008 il avait été sauvagement battu par des agresseurs qui n'ont toujours pas été identifiés à ce jour.

Après plusieurs mois dans le coma et huit interventions chirurgicales, Mikhaïl Beketov est resté hémiplégique, il a été amputé d'une jambe et de plusieurs doigts, et a perdu l'usage de la parole. Il est décédé lundi.

Avant son agression, il avait été l'objet de menaces: son chien avait été tué par des inconnus et une explosion avait détruit sa voiture.

«Cela avait pour objectif d'avertir Beketov qu'il devait arrêter d'écrire contre le projet» de l'autoroute, a estimé Amnesty International.

Beketov avait accusé publiquement le maire de Khimki Vladimir Streltchenko d'être derrière l'attaque qui l'a rendu invalide.

Le maire avait alors poursuivi le journaliste pour diffamation. D'abord reconnu coupable et condamné à une amende de 116 euros, en 2010, Beketov a été finalement acquitté un mois plus tard.

Le premier avocat de Mikhaïl Beketov, Stanislav Markelov, a été tué en plein centre de Moscou en 2009.

En 2010, un autre journaliste, qui couvrait la construction de l'autoroute controversée pour le quotidien Kommersant, Oleg Kachine, a lui aussi été violemment agressé et a passé plusieurs jours placé en coma artificiel.

La police avait indiqué privilégier «la piste de l'activité professionnelle du journaliste», sans jamais trouver les coupables.

«Pas de volonté politique»

Le département d'État américain, très critique envers la Russie en matière de droits de l'homme, a salué un «défenseur des gouvernements non corrompus et de la liberté de la presse» et a exhorté Moscou à «redoubler d'efforts pour identifier et traduire en justice les responsables du passage à tabac de ce journaliste respecté».

Mais «il n'y a pas de volonté politique d'élucider le crime contre Beketov», a déclaré à l'AFP le président de l'Union russe des journalistes Vsevolod Bogdanov.

«C'est la même chose pour les 300 autres meurtres de journalistes commis en 20 ans en Russie», a ajouté M. Bogdanov, en précisant que «en général, seuls 20% des crimes contre les journalistes sont élucidés en Russie».

Pour Alexeï Simonov, président de la Fondation Glasnost de défense de la liberté de la presse, «l'enquête est au point mort parce que personne ne cherche à identifier ceux qui ont passé à tabac Beketov avec des battes de baseball».

«Il n'y a pas de volonté politique pour trouver qui étaient ces individus», a-t-il ajouté.

Vladimir Poutine avait promis en 2012 d'«accélérer l'enquête», mais «cette déclaration est restée lettre morte», a estimé M. Simonov.

«Le journaliste était un symbole de la Russie qui lutte, de cette société civile qui s'est levée l'an dernier pour réclamer qu'on la respecte et qu'on la traite avec dignité», a de son côté écrit l'organisation Reporters sans frontières, basée à Paris.

«L'onde de choc de son agression avait contraint les autorités russes à prendre des engagements fermes en matière de lutte contre l'impunité. Pourtant, les agresseurs de Mikhaïl Beketov sont toujours en liberté. (...) Nous exigeons la vérité», a déclaré Reporters sans frontières.

L'agression contre Mikhaïl Beketov en 2008 avait fait redoubler la mobilisation contre le projet d'autoroute, jusqu'à une manifestation inédite de 2000 personnes en plein centre de Moscou en août 2010.

Ce mouvement qui était à l'origine limité à la défense de l'écologie est devenu le symbole de la lutte de la société civile contre l'arbitraire et a précédé la vague de protestation sans précédent déclenchée par les élections législatives de décembre 2011, remportées par le parti de Vladimir Poutine.

Le commanditaire de l'assassinat en 2006 de la plus célèbre journaliste de l'opposition, Anna Politkovskaia, n'a pas été non plus identifié à ce jour par la justice russe.