Margaret Hilda Thatcher, née Roberts, d'un père épicier, est morte baronne de Kesteven à 87 ans, mais l'histoire retiendra surtout le surnom de «Dame de fer» inventé par les Soviétiques en pleine Guerre froide, et qu'elle arborait fièrement comme une marque de fabrique.

Archi-conservatrice, ultralibérale, viscéralement antisocialo-communiste, hyper-eurosceptique, antiféministe et méga-controversée : «Mrs T», monstre sacré de la fin du XXe siècle, n'a jamais fait dans la demi-mesure.

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«Je suis pour le consensus, surtout à mes conditions», plaisantait volontiers la championne d'une «révolution» qui a transfiguré, mais aussi profondément divisé, la Grande-Bretagne, entre 1979 et 1990.

Première femme à diriger ce pays, détentrice du record de longévité à la tête du gouvernement au siècle dernier, «Maggie» a exercé trois mandats au cours desquels sa cote de popularité a oscillé entre sommets et abysses.

«Je crois que l'histoire retiendra le qualificatif "thatchérien" comme un compliment, s'autocongratule dans ses mémoires l'ancienne première ministre, aussi peu enclin au doute qu'au compromis.

L'ouragan Thatcher a privatisé des pans entiers de l'économie, démantelé les secteurs les moins performants (industrie lourde, mines), dérégulé les services financiers à la plus grande satisfaction de la City. Margaret Thatcher a rétabli la croissance et s'est attaquée à l'État providence et aux déficits publics.

Ses adversaires retiennent que les remèdes administrés à son pays, "homme malade de l'Europe" à la fin des années 70, ont eu des effets secondaires dévastateurs : creusement des inégalités, envolée du chômage qui dépasse la barre des trois millions, émeutes à répétition de Brixton à Liverpool et services publics négligés.

Née le 13 octobre 1925 à Grantham dans les tréfonds de l'Angleterre d'un père épicier par ailleurs prédicateur méthodiste, Mme Thatcher embrasse tôt les valeurs victoriennes du travail et de la réussite individuelle avant de se lancer dans des études de chimie à Oxford, puis d'avocate.

De son mariage à un homme d'affaires, Denis Thatcher, son confident pour la vie, naissent des jumeaux : Mark, businessman problématique incriminé dans une tentative de coup d'État en Guinée équatoriale; Carol, qui embrasse une carrière honnie de sa mère. Elle est journaliste.

Élue députée à 34 ans, Margaret Thatcher prend la tête du Parti conservateur en 1975 et celle du gouvernement quatre ans plus tard.

Chemin faisant, elle a surmonté un double handicap. Celui d'être une femme qui plus est issue d'un milieu modeste, dans un parti passablement machiste et aristocratique.

Le "thatchérisme" s'énonce à coups d'aphorismes assénés d'une voix doucereuse de maîtresse d'école aux yeux bleus acier, plantés dans ceux de l'interlocuteur.

- «Une femme qui sait comment tenir une maison sera plus à même de diriger le pays», assure-t-elle.

- «La Dame n'est pas du genre à faire marche arrière», un slogan mis en pratique pour venir à bout d'un an de grève des mineurs émaillée de batailles rangées avec les bobbies et d'une grève de la faim fatale à dix prisonniers de l'IRA, dont l'emblématique Bobby Sands.

- «Il n'y a pas d'alternative», répète-t-elle insatiablement à l'adresse de ses contradicteurs, ministres ou «bureaucrates ».

Les syndicats? Ce sont «les ennemis de l'intérieur» qu'il convient de terrasser. Au nombre des «ennemis de l'extérieur» figure Leopold Galtieri délogé manu militari des Malouines, véritable confetti d'Empire britannique dans l'Atlantique Sud dont le dictateur argentin s'est emparé 74 jours durant, en 1982.

L'ami par excellence, c'est le président américain Ronald Reagan avec qui elle porte au paroxysme la «relation privilégiée» transatlantique. Il est «le deuxième homme de sa vie» après Denis Thatcher, avancent ses biographes.

En reconnaissant que le président soviétique Mikhaïl Gorbatchev est «un homme avec qui l'on peut traiter», elle s'inscrit au nombre des liquidateurs de la Guerre froide.

Elle qualifie en revanche Nelson Mandela de «terroriste» tandis que le dictateur chilien Augusto Pinochet trouve grâce à ses yeux pour avoir épousé ses théories économiques et sa cause aux Malouines.

Mais c'est avec l'Europe «porteuse de tous les problèmes» que les relations sont les plus difficiles. Elle fait les délices des caricaturistes déjà conquis par sa mise en plis, son sempiternel sac à main et ses tenues bleu Tory, en exigeant pendant des mois un rabais dans la contribution britannique au budget européen : «Je veux récupérer Mon argent». «Non», non, non», écrit-elle d'une main rageuse en marge d'un rapport de son ministre des Pêches, récemment déclassifié. «Ce sont NOS poissons»...

«Elle a les yeux de Caligula et la bouche de Marilyn Monroe», dit d'elle le président François Mitterrand tantôt subjugué, tantôt exaspéré. «Elle m'a toujours fichu la migraine», confie le chancelier Helmut Kohl.

Le 22 novembre 1990, elle est victime d'un putsch de ses ministres maltraités et en désaccord sur un impôt, «la poll tax», qu'ils jugent inique. Au moment de quitter la scène, Margaret Thatcher use du pluriel de majesté pour décréter la larme à l'oeil : « Nous sommes très heureux de laisser le Royaume-Uni en bien meilleur état que nous l'avons trouvé ».

Les années suivantes, elle harcèlera son successeur John Major, « l'homme en gris » jugé trop timoré qui finira victime d'un raz-de-marée électoral provoqué par le travailliste Tony Blair, en 1997.

Frappée de démence sénile au tournant du siècle, elle inaugure en 2007 sa statue au Parlement avec ces mots : « J'aurais préféré de l'acier, mais le bronze fera l'affaire. Ça ne rouillera pas ».

De fait, tous ses successeurs - dont l'actuel conservateur David Cameron - ont été et sont jaugés à l'aune du thatchérisme.

Et 20 ans après sa retraite, elle soulevait encore les passions.

Au point que Downing Street a annoncé qu'elle n'aurait finalement pas droit à des funérailles nationales.