«Les gens en Norvège ont une relation spirituelle avec le feu», croit le producteur de télé norvégien Rune Moeklebust. La semaine dernière, il a proposé une émission de télé assez audacieuse: quatre heures à discuter de bûches, de haches et de cordes de bois, puis huit heures à regarder un feu de foyer. Soporifique? Non, anthropologique.

Lorsqu'on empile les bûches pour les faire sécher, faut-il placer l'écorce vers le haut ou vers le bas?

«L'écorce vers le bas», nous écrit Arild Hagen, de Fjellhamar, en banlieue d'Oslo. «Sinon, l'écorce empêchera l'humidité du bois de s'évaporer.»

Mais apparemment, les Norvégiens ne s'entendent pas sur la question. Vendredi dernier, des téléspectateurs se sont plaints au réseau NRK, télé publique norvégienne, lors d'un (très long) reportage sur la question. «La moitié se sont plaints que l'écorce était vers le haut, et l'autre moitié que l'écorce était vers le bas», a expliqué l'auteur norvégien Lars Mytting en entrevue au New York Times.

Cette question cruciale, comme de nombreuses autres liées à l'utilisation de la hache ou de la scie, jusqu'à la manière d'empiler les bûches dans l'âtre, ont été disséquées pendant quatre heures lors d'une émission spéciale. À la suite de cette longue présentation agrémentée de chants et de poésie norvégienne, la caméra s'est braquée sur un feu de foyer. Pendant huit heures.

«Je n'ai pas regardé toute l'émission», admet Arild Hagen, père de famille de 44 ans. «Douze heures, c'est hardcore...»

«Relation spirituelle»

«Les gens en Norvège ont une relation spirituelle avec le feu», a souligné à l'agence Reuters le producteur, Rune Moeklebust. Il a conçu l'émission à partir du best-seller de Lars Mytting, Hel Ved (qu'on pourrait traduire par «Bois dur»), essai consacré uniquement à ces questions ligneuses. Dans le livre, comme dans l'émission, une grande place a été laissée aux experts en la matière: des hommes âgés, habituellement peu loquaces. «J'ai appris qu'on ne doit pas demander à un Norvégien ce qu'il aime dans les feux de bois, mais comment il s'y prend, a décrit M. Mytting. C'est ainsi qu'il se révèle.»

La nature profonde du Norvégien qui s'exprime dans ces gestes immémoriaux... Arild Hagen est d'accord: montre-moi ta corde de bois et je te dirai qui tu es. «On peut dire que les plus belles cordes sont faites par des gens qui ont le plus de savoir-faire, qui se donnent le plus la peine. Et ils ont aussi de belles pelouses, des bancs de neige bien découpés, une voiture toujours propre...» C'est son cas? «Je déteste l'admettre... mais oui!»

Près d'un million de télé-spectateurs (l'équivalent de 1,6 million au Québec, soit quelque part entre La voix et Tout le monde en parle) ont regardé l'émission. «L'intérêt pour les feux de bois a grimpé depuis cette émission», remarque Arild Hagen, qui s'en réjouit. «On a parlé de la Norvège dans le monde d'une façon plus positive que le 22 juillet», dit-il, en faisant référence aux attentats d'Oslo et d'Utoya en 2011.

PHOTO THE NEW YORK TIMES

Un million de Norvégiens ont regardé l'émission qui a montré un feu de foyer durant huit heures.