Un spectaculaire attentat manqué contre le dirigeant historique de la minorité turque en Bulgarie, dont les images ont fait le tour du monde, a remis au premier plan le parti ethnique turc qui, après avoir participé de 2001 à 2009 à des gouvernements de gauche, est aujourd'hui dans l'opposition.

L'auteur de l'attentat manqué samedi à Sofia contre Ahmed Dogan a été inculpé d'«hooliganisme» et de «menaces de mort», a annoncé dimanche le Parquet de la capitale bulgare.

Arrêté par la police peu après l'agression, il s'agit d'un homme âgé de 25 ans, Oktay Enimehmedov, d'origine turque et habitant à Bourgas, sur les rives de la Mer Noire, a indiqué dimanche le Procureur adjoint de Sofia, Borislav Safarov, au cours d'une conférence de presse. Il risque de cinq à six ans de prison, a-t-il précisé.

Pendant le congrès du Mouvement pour les droits et les libertés (MRF), au moment où Ahmed Dogan s'adressait de la tribune aux délégués, le jeune homme, armé d'un pistolet à gaz et de deux couteaux, a essayé de tirer sur lui, mais sans y parvenir, son arme, chargée avec trois balles, s'étant enrayée. Visiblement effrayé, Ahmed Dogan a cependant réussi à écarter l'arme avec un bras avant de se dissimuler sous le pupitre placé sur la tribune.

Selon des experts de la police, cités par le Procureur adjoint, même s'il avait réussi à tirer avec son pistolet à gaz, qui est généralement une arme d'autodéfense et propulse des cartouches de gaz lacrymogène, la vie d'Ahmed Dogan n'aurait pas été en danger.

L'assaillant avait été aussitôt maîtrisé par des délégués, qui l'avaient passé à tabac alors qu'il était déjà désarmé. Le Parquet examine s'il y a lieu de poursuivre pour «violences et coups et blessures» certains des délégués dont le visage est aisément reconnaissable sur les images diffusées par les chaînes de télévision, a ajouté Borislav Safarov.

D'après le chef du Service psychologique de la police, Nedelcho Stoychev, Oktay Enimehmedov ne voulait pas attenter à la vie d'Ahmed Dogan, mais seulement «l'effrayer» et, par son acte, «acquérir cinq minutes de célébrité». Le chef psychologue de la police a par ailleurs révélé que l'agresseur avait laissé à son domicile une lettre, destinée à sa mère, dont il n'a pas communiqué le contenu.

Ahmed Dogan, âgé de 58 ans, qui dirige le MRF depuis sa fondation, en 1990, a annoncé après l'attentat qu'il démissionnait de la présidence du parti et le vice-président, Lyutvi Mestan, un de ses fidèles, a été élu à sa place.

Cependant, la démission du dirigeant historique du MRF, élu à l'unanimité président d'honneur, était anticipée par la presse depuis plusieurs semaines et est sans rapport avec l'attentat. Le fondateur du MRF a expliqué sa décision par «une diabolisation» de son image qui desservirait son parti en vue des élections législatives, en juillet.

Très critique vis-à-vis du premier ministre conservateur, Boïko Borissov, le dirigeant du MRF accuse ce dernier de supprimer la libre initiative dans l'économie et de contrôler les médias en vue de «remplacer la démocratie par une dictature».

Homme politique controversé, Ahmed Dogan a joué un rôle-clé au cours de la transition post-communiste, à partir de 1989. Dans un pays longtemps sous la domination ottomane (1396-1878), il contrôlait, via le MRF, le vote de la minorité turque, évaluée à 10% de la population, le taux le plus élevé de l'Union européenne.

À son actif, il comptabilisait la paix ethnique en Bulgarie, alors que des conflits ethniques sévissaient dans les années 1990 dans les pays voisins issus de l'ex-Yougoslavie. Grâce à son parti, la minorité turque, victime d'une politique d'assimilation sous la dictature communiste, a acquis nombre de droits, dont l'apprentissage du turc à l'école, la liberté religieuse, des programmes télévisés en turc et surtout une représentation incontournable au parlement.

Toutefois, Ahmed Dogan, qui a coopéré au fil des années avec divers alliés politiques -conservateurs, libéraux et socialistes (ex-communistes)- était critiqué en raison d'un style autoritaire. Il a aussi fait l'objet d'accusations de corruption, mais pour lesquelles il n'a jamais été condamné.

La presse bulgare avait révélé son appartenance aux services secrets communistes avant qu'il ne se retourne contre le régime et ne soit emprisonné en 1985.

L'ancien roi Siméon de Saxe-Cobourg-Gotha, ex-premier ministre, a pris dimanche la défense d'Ahmed Dogan qualifié de «figure emblématique» pour «l'entente ethnique en Bulgarie».