Après 26 ans d'absence, la France a réinstitué un ministère des Droits des femmes. «On considérait que ce sujet ne méritait plus d'avoir un ministère à part entière», déplore celle qui a hérité du dossier, Najat Vallaud-Belkacem. La Presse l'a interviewée lors de son passage rapide à Québec, lundi, durant lequel elle a échangé avec ses homologues.

QUÉBEC À 35 ans, Najat Vallaud-Belkacem est la plus jeune ministre du gouvernement de Jean-Marc Ayrault. Brillante et éloquente, elle en est aussi la porte-parole. Son parcours méritocratique paraît plus nord-américain que français. Elle est née au Maroc dans une famille de sept enfants. Son père était travailleur de la construction. À 4 ans, elle migre en France avec sa famille. Après des études à l'Institut d'études politiques de Paris, elle travaille avec Ségolène Royal puis le nouveau président François Hollande.

«Je n'ai jamais senti de différence de regard de mes électeurs parce que j'étais une femme. En revanche, j'en ai toujours senti une de la part de mes collègues politiques. C'est très intéressant. Cela montre que la société évolue plus vite que ses structures politiques. Elles ont besoin de s'interroger», affirme-t-elle.

Elle en a donné un exemple dans le livre Raison de plus. Elle y écrit avoir organisé un souper de campagne chez elle à Lyon. Elle a alors accueilli un homme à la porte et pris son manteau. Il lui a demandé où se trouvait le politicien hôte de la maison...

Plusieurs lois existent pour assurer l'égalité des sexes. Mais après avoir travaillé sur l'égalité de droit, la France doit maintenant se préoccuper davantage de l'égalité de fait, soutient Mme Vallaud-Belkacem. Même si une dizaine de lois existent pour garantir l'égalité professionnelle, un écart de rémunération de 27% perdure néanmoins entre les sexes. «Ce n'est pas parce qu'on a des lois que les problèmes sont réglés», rappelle-t-elle. Elle ajoute que les sanctions et les processus de contrôle en la matière sont «tellement compliqués qu'ils ne s'appliquent pas». Elle doit s'y attaquer bientôt.

Mme Vallaud-Belkacem comprend qu'elle lutte contre de vieilles traditions. «La tendance naturelle de la société, ce n'est pas l'égalité homme - femme. C'est l'inégalité, dans toutes ses composantes - familiale, religieuse, institutionnelle, médiatique. On hérite d'une structuration sociale qui date de millénaires. C'est pour cela qu'il y a tant de résistance. C'est un combat majeur qu'il faut mener avec force et détermination.»

Nous lui apprenons que la ministre canadienne de la Condition féminine, Rona Ambrose, a voté pour une motion qui visait à tenir une commission parlementaire sur les droits du foetus, et ce, dans l'espoir de rouvrir le débat sur l'avortement. «J'ai une réaction assez vive, lance-t-elle. Je suis très préoccupée de voir à quel point le droit à l'avortement est petit à petit remis en cause, y compris dans les pays plus avancés comme le Canada. Pour nous, le Canada fait figure de pays des lumières en matière d'égalité homme-femme. Il faut constamment être vigilant. Les lobbys conservateurs sont toujours à l'affût de la moindre faiblesse pour revenir à la charge.»

Mariage gai, laïcité et religion

La ministre a échangé avec ses homologues québécois au sujet de leurs politiques respectives - et très semblables - de lutte contre l'homophobie. Elle s'est aussi intéressée au mariage gai. Le sujet est moins consensuel en France. Dans l'attente de son projet de loi, les deux camps organisent d'importantes manifestations. «Ce serait injuste de taxer d'homophobes tous ceux qui sont contre le mariage gai. Ils peuvent avoir des inquiétudes et des angoisses quant à la structure de la société et au rôle, déterminant pour beaucoup de Français, de la cellule familiale.»

Mme Vallaud-Belkacem n'est pas familière avec le projet de charte de la laïcité du Parti québécois, qui semble relégué aux oubliettes dans un contexte de gouvernement minoritaire. On lui en décrit les grandes lignes: l'égalité homme-femme doit primer la liberté de religion, et le port de signes religieux ostensibles est interdit dans la fonction publique et parapublique. «Ça m'a l'air d'aller plutôt dans le bon sens», dit-elle prudemment, sans vouloir s'avancer davantage.

Même si elle reconnaît la menace de l'islamisme pour les femmes, elle dit «en avoir assez de la stigmatisation des religions». «Je veux remettre les choses à leur juste niveau. La religion est un des éléments qui, parfois, bloquent le processus homme-femme, mais ce n'est qu'un élément parmi d'autres.» Elle parle de la diffusion de stéréotypes sexistes comme les rôles sexués dans les émissions de télévision, où «on montre systématiquement maman qui fait la cuisine et qui ne travaille pas». «Ça peut sembler anodin. On se dit que c'est beaucoup moins grave que le prosélytisme religieux. Mais ça a presque plus d'impact sur le quotidien des gens, car ils se font une idée dès le plus jeune âge de ce que doit être la société.»