Un tribunal russe a condamné vendredi à 11 ans de camp un ancien policier pour son implication dans l'assassinat de la journaliste d'opposition Anna Politkovskaïa, dont le commanditaire n'a jamais été identifié six ans après le drame.

L'ancien lieutenant-colonel Dmitri Pavlioutchenkov a reconnu devant un tribunal de Moscou avoir organisé ce meurtre en 2006, qui avait suscité de nombreuses réactions d'émoi à travers le monde.

L'ex-policier a reconnu qu'il avait pris en filature la journaliste, acheté un pistolet et remis au tueur l'arme du crime, à l'issue d'un procès-éclair en l'absence de témoins et partiellement fermé à la presse.

La famille de la victime a aussitôt annoncé qu'elle ferait appel, l'avocate Anna Stavitskaïa réclamant que l'ex-policier soit condamné à la peine maximale, soit 13 ans de camp.

Les avocats de la défense vont eux aussi contester en appel la condamnation à 11 ans de camp de travail à régime sévère, après avoir plaidé pour une peine avec sursis.

Arrêté en août 2011, Pavlioutchenkov pourrait être libéré au bout de six ans, a déclaré l'un de ses défenseurs, cité par l'agence de presse Interfax.

L'ex-policier devra en outre verser trois millions de roubles (plus de 32 000 $) de dommages-intérêts aux enfants d'Anna Politkovskaïa, qui avaient demandé dix millions de roubles (environ 97 000 $), a indiqué le tribunal.

Pour sa part, Sergueï Sokolov, le rédacteur en chef adjoint du journal d'opposition Novaïa Gazeta où travaillait la journaliste, a dit redouter que le commanditaire ne soit jamais identifié.

Cette inquiétude est partagée par l'association internationale de défense des journalistes Reporters sans frontières (RSF), qui a critiqué la tenue de ce procès express en deux jours, «sans examen des preuves et à huis clos partiel».

Ce procès «met en doute l'existence d'une réelle volonté de faire éclater la vérité et d'identifier l'ensemble des coupables et des commanditaires de ce crime», a estimé l'ONG dans un communiqué.

À la suite d'un accord conclu en mai entre le prévenu et le procureur général adjoint Viktor Grin, «le cas de Pavlioutchenkov a été isolé du reste de l'affaire et soumis à une procédure particulière» prévoyant une peine réduite des deux tiers par rapport à la sanction maximale encourue, déplore RSF.

En contrepartie, le prévenu devait plaider coupable et donner le nom du commanditaire, «mais comme le soulignent les enfants d'Anna Politkovskaïa, Pavlioutchenkov "n'a pas tenu ses engagements"», déplore l'ONG.

Avant même le début du procès, Dmitri Mouratov, le rédacteur en chef de Novaïa Gazeta - dont l'ancien dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev est l'un des actionnaires -, avait estimé qu'il existait un «tabou politique» sur l'élucidation de ce crime.

«Vu les obstacles qui entravent l'identification du commanditaire (de l'assassinat), celui-ci fait partie des personnes les plus intouchables dans la Fédération de Russie», avait déclaré M. Mouratov au cours d'une conférence de presse.

«Pavlioutchenkov essaie de présenter son rôle comme peu important, mais il (...) connaît sans doute le commanditaire», avait renchéri le fils de la journaliste, Ilia Politkovski, pendant cette conférence de presse.

Un homme originaire de Tchétchénie, Lom-Ali Gaïtoukaïev, est accusé d'avoir recruté Pavlioutchenkov après avoir lui-même reçu d'un commanditaire inconnu l'ordre de tuer la journaliste. L'homme se trouve en détention.

Trois frères tchétchènes, Roustam, Ibraguim et Djabraïl Makhmoudov, ont pour leur part été accusés d'être les exécutants. Roustam est en détention, alors que ses deux frères ont été acquittés à l'issue d'un procès en 2009.

En 2010, la Cour suprême russe a renvoyé l'affaire au parquet et l'enquête a été rouverte avec les mêmes suspects.

Anna Politkovskaïa, tuée le 7 octobre 2006 dans le hall de son immeuble à Moscou, a été l'une des rares journalistes russes à dénoncer les exactions pendant et après la guerre en Tchétchénie.