Une étrange théorie circule ces jours-ci en Italie. Silvio Berlusconi aurait trouvé un successeur non pas à droite, mais dans la rébellion antipolitique d'un humoriste de gauche. Nos explications.

Personne n'aurait pu penser que Giuseppe Grillo aurait pu être le successeur de Silvio Berlusconi. Cet humoriste génois a lancé en 2007 un mouvement politique anticorruption et écologiste, qui a réussi cette année à prendre le contrôle de la Sicile et de plusieurs villes du nord de l'Italie.

Et pourtant, plusieurs politologues affirment que Beppe Grillo a repris le manteau de la contestation anti-establishment qui a permis à Silvio Berlusconi de gouverner le pays à trois reprises depuis 20 ans. Sur YouTube, une vidéo compare une quinzaine de sections de discours de Grillo et de Berlusconi, qui sont étrangement similaires dans leurs attaques contre le gaspillage, les médias, les élites et la classe politique.

«Grillo est sans aucun doute un héritier du berlusconisme», affirme Manlio Graziano, historien turinois qui enseigne à la Sorbonne et qui vient de publier en anglais The Failure of Italian Nationhood. «Il représente une partie de l'esprit du berlusconisme, davantage et mieux que beaucoup d'autres. Le côté théâtral, sans aucun doute. Le côté antisystème aussi. La principale peur des berlusconistes est d'être mangés vivants par Grillo. Ils le disent eux-mêmes.»

Ambiguïté

Signe de l'ambiguïté de la politique de Grillo, tant ses partisans que ses opposants discréditent comme «quelconquistes» les thèses de leurs ennemis. Le quelconquisme est un mouvement politique des années 30 et 40, qui est le calque du poujadisme français et de la révolution du bon sens de Mike Harris en Ontario.

Grillo, 64 ans, s'est tout d'abord illustré avec ses vaffanculo days, littéralement «les jours où on envoie foutre le système» puis a ensuite lancé un mouvement contre la représentation proportionnelle et l'interdiction de siéger aux parlementaires condamnés en première instance (actuellement, il est possible de siéger jusqu'au verdict final). L'an dernier, il a lancé le Mouvement cinq étoiles, ou M5S, qui est arrivé en tête cet automne aux régionales de Sicile, avec 15% des voix. Pendant la campagne, il a traversé à la nage le détroit de Messine, qui sépare la Sicile du continent, pour montrer sa détermination.

«Hommes de spectacle»

«Je pense que les électeurs du M5S ne sont pas les mêmes que ceux de Berlusconi», dit Simone Petrangeli, nouveau maire de gauche de Rieti, ville voisine de Rome. «Je crois que la gauche peut les convaincre de participer à la politique. Cela dit, il est possible que Grillo tombe dans le quelconquisme. Et s'il détient la balance du pouvoir aux parlementaires du printemps prochain, ce sera une situation très inconfortable.»

À Parme, l'une des villes gouvernées depuis le printemps par le M5S, la solution à un déficit plus élevé que prévu a été la privatisation de sociétés de services et d'immeubles publics, des stratégies traditionnellement considérées comme de droite, note toutefois M. Petrangeli. Silvio Berlusconi a promis ce type de réforme à chacun de ses mandats, sans jamais les mettre en place.

«Il est clair que ce ne sont pas les mêmes électeurs, mais il est tout aussi vrai que tous deux se drapent dans le manteau de l'antisystème, dit Franco Pavoncello, politologue à l'Université John Cabot de Rome. Et Silvio Berlusconi a commencé sa carrière en étant pianiste dans les croisières. Ce sont tous deux des hommes de spectacle.»

PHOTO ARCHIVES REUTERS

Le Cavaliere Silvio Berlusconi avait fait de la contestation anti-establishment sa spécialité électorale. Une recette qui lui aura permis d'être élu à la tête du pays, à trois reprises en l'espace de vingt ans.