Un ministre limogé, un chef régional arrêté, des milliards de roubles détournés: les scandales de corruption se multiplient en Russie, interprétés par les uns comme une campagne résolue contre ce mal, par d'autres comme la conséquence de luttes d'influence au sein du pouvoir.

En quelques semaines, plusieurs affaires ont été révélées au grand jour. Et fait inhabituel dans un pays par ailleurs coutumier des cas de corruption, elles impliquent les plus hautes sphères de l'État.

L'affaire la plus retentissante a abouti au limogeage le 6 novembre du ministre de la Défense, Anatoli Serdioukov, éclaboussé par un scandale de fraude dans la vente de biens publics par une entreprise contrôlée par le ministère.

Le préjudice de cette affaire pour le budget de l'État a été estimé à au moins quatre milliards de roubles (100 millions d'euros).

Quelques jours plus tard, c'est le constructeur en chef du système de navigation par satellite Glonass, concurrent du GPS américain et projet phare des autorités russes, qui a été relevé de ses fonctions. Les médias avaient révélé que 162 millions d'euros investis dans le programme avaient été détournés.

La veille avait été arrêté le chef du gouvernement de la région de Perm (Oural) Roman Panov, un ancien vice-ministre des Régions soupçonné d'avoir participé au détournement de 93 millions de roubles (2,3 millions d'euros) lors de la préparation du sommet de coopération économique Asie-Pacifique (Apec) en septembre à Vladivostok (Extrême-Orient russe).

Dans une autre affaire, le Parquet a accusé mardi de hauts responsables du ministère de la Santé d'avoir conclu un contrat pour une campagne de prévention contre le sida pour un montant «surévalué», ce qui aurait occasionné un préjudice de plusieurs millions de roubles au budget du pays.

Une corruption qui a «acquis un caractère fédéral»

Pour Alexeï Panine, analyste du Centre d'informations politiques, ces révélations en chaîne sont le signe que le pouvoir russe passe à une nouvelle étape dans sa campagne contre la corruption.

Lancée sous l'impulsion de Dmitri Medvedev lorsqu'il était au Kremlin, entre 2008 et 2012, celle-ci ne se cantonne désormais plus aux niveaux locaux et régionaux, mais a «acquis un caractère fédéral» et devrait durer, estime-t-il.

«Ce n'est pas du populisme, c'est une campagne trop importante, et cette lutte peut tout à fait mener à des résultats», juge l'analyste, tout en reconnaissant que son efficacité dépendra des jugements qui seront prononcés.

Elena Panfilova, responsable en Russie de l'ONG Transparency International n'est toutefois pas du même avis.

Selon elle, la multiplication des affaires est plutôt le signe d'«une exacerbation de la lutte de clans au sein même du système, après les élections» législatives et présidentielles de décembre 2011 et mars 2012.

«Dans de tels cas, la corruption est l'outil le plus simple pour régler ses comptes», car elle touche la quasi-totalité des responsables politiques, affirme-t-elle.

Mme Panfilova observe toutefois que le président russe Vladimir Poutine pourrait aussi avoir décidé de mettre l'accent sur cette question, alors qu'il est confronté depuis près d'un an à un mouvement de contestation inédit.

«C'est un moyen d'accroître son contrôle en temps de crise économique et de baisse des ressources. Autrement, avec des détournements à une telle échelle, Poutine n'arrivera jamais à remplir ses promesses électorales», dit-elle.

Et dans ce contexte, «il pourrait répondre à ses opposants: vous vouliez la lutte contre la corruption, eh bien la voilà», ajoute-t-elle.