La condamnation de sept sismologues en Italie continue à faire des vagues. Le président de la Commission grands risques, où ils travaillaient, a claqué la porte. Partout sur la planète, les sociétés savantes s'inquiètent du fait qu'il ne sera bientôt plus possible pour les scientifiques de faire bénéficier la société de leur expertise. Et jurent qu'il est impossible de prédire les tremblements de terre.

Q Pourquoi les sismologues ont-ils été condamnés ?

R Quelque temps avant le séisme de L'Aquila, qui a fait plus de 300 morts en avril 2009, un technicien d'un laboratoire de physique, Giampaolo Giuliani, a affirmé qu'un tremblement de terre était imminent, sur la base d'une technique scientifique contestée.

La Protection civile de la région a demandé leur avis aux experts de la Commission grands risques, qui ont expliqué qu'il n'est pas possible de prédire les séismes.

En conférence de presse, Bernardo De Bernardinis, de la Protection civile, a affirmé que les experts lui avaient dit que les multiples secousses faibles qui secouaient alors la région diminuaient le risque de séisme, parce que  l'« énergie était dissipée » - ce qui est contraire au consensus scientifique.

Selon la revue Nature, aucun commentaire de ce genre ne se trouvait dans le compte rendu de la réunion d'experts. Mais comme deux des experts se trouvaient à la conférence de presse et n'ont rien dit, le juge a décidé qu'ils portaient la responsabilité de ce commentaire inexact qui, selon la poursuite, a rassuré 29 résidants de L'Aquila qui sont morts dans le tremblement de terre de magnitude 6,3 du 6 avril, et dont les parents ont porté plainte. Ce sont eux, avec la Ville de L'Aquila, qui se partageraient les 8 millions d'euros de dommages et intérêts, s'ils sont maintenus par la Cour de cassation. En attendant la décision de deuxième instance, l'amende et la peine de six ans de prison sont suspendues à cause du faible risque de récidive.

Q Les scientifiques étaient-ils tenus de contredire M. De Bernardinis en conférence de presse ?

R « Cela illustre bien les problèmes de la communication du risque de tremblement de terre, explique Fiona Darbyshire, géologue à l'UQAM. Dans le résumé qu'ils ont donné à De Bernardinis après leur réunion, les scientifiques étaient-ils trop optimistes ou mal compris ? On ne le saura jamais. On pourrait avancer que les scientifiques auraient dû le contredire durant la conférence de presse, mais c'est souvent difficile à faire adéquatement, particulièrement si les autorités et le public mettaient beaucoup de pression pour avoir une réponse "définitive". »

Q Est-il possible de prédire les séismes ?

R « Il y a trois cas de figure, dit Mme Darbyshire. Des séismes qui surviennent sans préavis. Des séismes qui surviennent après de multiples secousses plus faibles, inhabituelles. Ou une succession de secousses faibles anormales après lesquelles il ne se passe rien. Si on se met à évacuer les gens après chaque secousse anormale, on va le faire plusieurs fois pour rien. C'est la même chose avec le radon, qu'avait utilisé le technicien qui avait sonné l'alarme. Il est vrai que les séismes s'accompagnent d'émissions de radon. Mais il y en a aussi pour d'autres raisons. Encore là, il y aurait beaucoup de fausses alertes. »

Q Dans un article de 2009, le magazine Scientific American a affirmé qu'il serait éventuellement possible de prédire les séismes à partir des radiations électromagnétiques émises par les veines de cristal.

R « La formation d'un séisme est probablement dominée par des processus chaotiques », explique Shawn Larsen, du laboratoire national Lawrence Livermore, à New York, l'un des deux chercheurs cités par Scientific American. « Si cela est le cas, il ne sera pas possible d'aller au-delà des probabilités sur 10-30 ans. »

Q Comment le verdict est-il accueilli en Italie ?

R « Les sinistrés de L'Aquila sont prostrés et se sentent abandonnés, alors ils se réjouissent du malheur d'autrui », explique Franco Pavoncello, politologue à l'université américaine John Cabot de Rome. « J'y suis allé il y a quelques semaines et il y a encore beaucoup de dégâts. Mais il est clair pour la plupart que ce jugement est inacceptable et sera cassé. On blague que la Commission grands risques est nommée ainsi parce que ses membres courent des risques importants. »