Comme au Québec, les réformes fiscales font des vagues en France. Après la controverse suscitée par la tentative de naturalisation belge du riche homme d'affaires Bernard Arnault, les médias locaux font grand cas de la cabale d'un groupe d'entrepreneurs qui refusent de se faire « plumer » par le gouvernement.

Le gouvernement français s'attendait à susciter de la grogne en annonçant de nouvelles réformes fiscales. Mais il n'avait pas prévu de devoir affronter la colère de milliers de «pigeons».

En s'identifiant ironiquement avec le volatile, un groupe d'entrepreneurs qui refusent de se faire «plumer» a réussi en quelques jours à forcer l'État à faire partiellement marche arrière.

Leur singulière révolte a commencé la semaine dernière après que le ministère des Finances eut rendu public son projet de loi de finances pour 2013.

La mesure la plus attendue, l'imposition à un taux de 75 % des revenus supérieurs à 1 million d'euros, est alors confirmée. Une autre disposition majorant l'imposition des plus-values enregistrées à la vente d'une entreprise est alors aussi avancée sans attirer autant d'attention.

Jean-David Chamboredon, qui chapeaute un fonds d'investissement dans les entreprises internet, s'alarme et dénonce dans une lettre ouverte la modification sous prétexte qu'elle va étouffer l'investissement et l'innovation.

»Brisage de rêve»

Il avance que les entrepreneurs qui revendent leur entreprise risquent de voir la ponction fiscale sur leur gain bondir de 30 % jusqu'à 60 %. «Nous sommes ici dans le dogme anticapitaliste, l'antiéconomique, le brisage de rêve, la démolition quasi sadique, le je-ne-sais-quoi-qui-donne-la-nausée», écrit M. Chamboredon.

Un groupe d'entrepreneurs lance dans la foulée une campagne en ligne de défense des «pigeons». La page Facebook recueille rapidement des dizaines de milliers d'appuis. Le terme de référence «geonpi» - «pigeon» en verlan - se propage sur Twitter tout comme une image montrant les têtes d'oiseaux en colère.

Certaines voix s'élèvent pour dénoncer la campagne, en accusant les entrepreneurs d'exagérer l'importance des ponctions projetées pour ne pas payer leur part d'impôts. La revue Marianne décrie notamment «l'outrance» et les «approximations» du mouvement. Ce qui n'empêche pas le gouvernement de faire marche arrière.

À l'issue d'une rencontre tenue jeudi en présence de quelques dizaines d'entrepreneurs, le ministre de l'Économie, Pierre Moscovici, a fait savoir que plusieurs aménagements seraient apportés de manière à rétablir le niveau de taxation initial pour les créateurs d'entreprise. Le niveau de taxation accru demeure cependant applicable pour les investisseurs qui apportent du capital extérieur.

Messages agressifs

La révolte des «pigeons» suscite des appuis, mais aussi des critiques. Un segment de la population assimile leur comportement à celui de riches hommes d'affaires comme Bernard Arnault, propriétaire du groupe LVMH, qui se voit accuser par ses détracteurs de convoiter la nationalité belge pour échapper au fisc français.

Frédéric Montagnon, un entrepreneur qui chapeaute plusieurs sociétés internet, a reçu plusieurs messages agressifs après avoir noté ironiquement en ligne que les créateurs d'entreprise allaient s'entasser dans le train rapide reliant Paris à Bruxelles pour échapper au fisc français. La Belgique, dit-il, ne prévoit aucune imposition sur la plus-value enregistrée à la vente d'une entreprise.

Des internautes l'ont averti qu'ils allaient le faire mettre en prison, lui retirer sa citoyenneté française ou l'ont sommé de ne jamais revenir.

«Je n'ai aucune intention de quitter la France. C'était une façon de dénoncer la situation par l'humour et ça semble avoir bien fonctionné», souligne en entrevue M. Montagnon.

Une forme de «racisme antipatron»

L'entrepreneur, actuellement à New York pour lancer le volet américain de l'une de ses sociétés, estime que le gouvernement français ne peut faire abstraction de la fiscalité des pays voisins s'il veut que le pays demeure compétitif.

«Soit on harmonise les régimes d'imposition au niveau européen, ce qui ne risque pas d'arriver, soit on tient compte de la réalité actuelle et on agit en conséquence», estime M. Montagnon, qui veut payer des impôts de «manière juste».

Selon lui, la situation des créateurs d'entreprise n'a pas grand-chose à voir avec celle des grands patrons dont les salaires et les pratiques fiscales sont régulièrement critiqués dans les médias.

Il pense que le gouvernement, en brandissant la mesure de l'impôt à 75 % pour les revenus excédant 1 million d'euros, cherche à détourner l'attention des modifications touchant l'ensemble de la population.

L'accent placé par le gouvernement sur cette mesure est aussi décrié par la principale organisation patronale du pays, le MEDEF, qui évoque le développement d'une forme de «racisme antipatron» dans le pays.