Les militantes de Femen, qui ont recours à la nudité pour faire entendre leurs revendications féministes, viennent de s'installer à Paris afin d'initier de nouvelles militantes à leur mode d'action radical. Notre correspondant fait le point sur leur mouvement.

Loubna Méliane manifeste depuis deux décennies pour dénoncer le racisme et faire avancer les droits des femmes. Mais rien ne l'avait préparée à la sortie remarquée qu'elle a faite à la place du Trocadéro, devant la tour Eiffel, en mars dernier.

Avec d'autres membres de l'organisation Femen, la Française de 34 ans s'est dénudée devant l'objectif des médias. Les images du groupe de femmes seins nus, le corps recouvert de messages fustigeant la charia et l'intégrisme, a rapidement fait le tour de la planète.

«Au début, ça n'a pas été facile parce qu'on a tous un rapport au corps un peu particulier. Mais j'étais persuadée que c'était la chose à faire», relate Mme Méliane, qui s'est sentie galvanisée par la sortie.

Elle a récidivé cet été à Londres pour fustiger la décision du comité olympique de permettre à une athlète saoudienne de concourir la tête voilée. La réponse des autorités locales a été beaucoup plus violente qu'à Paris, où tout s'était déroulé sans heurt.

«Je ne m'attendais pas à me faire assaillir par les policiers. Ils nous ont traitées comme de vraies criminelles. J'ai passé 12 heures en garde à vue et j'ai été photographiée sous tous les angles. Ils ont même fait un prélèvement d'ADN. Imaginez la honte», relate-t-elle.

C'est en quelque sorte pour préparer des militantes à ce type d'action et à ses conséquences possibles que Femen, mouvement créé en Ukraine il y a quatre ans, vient d'inaugurer à Paris un centre d'entraînement dans les locaux d'un centre culturel du 18e arrondissement.

Leur corps: une arme

Bien que le projet en soit à ses débuts, les activistes entendent y tenir des débats et des cours, qui porteront notamment sur les techniques à suivre pour manifester pacifiquement face à des autorités répressives.

Les membres de Femen affirment qu'elles utilisent leur corps «comme une arme, comme une affiche» pour se faire entendre. Elles parlent d'une forme de «sextrémisme» et de «terrorisme pacifique» susceptible de dynamiser le mouvement féministe.

Mme Méliane ne croit pas que l'aspect spectaculaire de la nudité risque de noyer le message sous-jacent. «Il s'agit d'une façon pour les femmes de se réapproprier ce corps que l'on a voulu trop longtemps cacher ou surexposer. C'est une vraie arme de destruction massive», assure la militante, qui y voit aussi une manière efficace d'attirer l'attention pour engager le dialogue.

Inna Tchevchenko, un membre du noyau dur de Femen qui était présente la semaine dernière pour inaugurer le centre d'entraînement, affirme que le but de l'organisation est de former des «soldats» susceptibles de mener des actions-chocs un peu partout.

Cette jeune Ukrainienne de 21 ans a dû fuir son pays en août et se réfugier à Paris après avoir coupé avec une tronçonneuse une énorme croix en bois érigée au coeur de Kiev. L'intervention se voulait un acte d'appui aux membres du groupe russe Pussy Riot qui ont été condamnés à deux ans de prison pour avoir manifesté dans une église orthodoxe contre le régime de Vladimir Poutine.

Enlevée et torturée

La militante ukrainienne a également connu des ennuis considérables en Biélorussie, où elle s'était rendue pour dénoncer le régime autoritaire d'Alexandre Lukachenko. Avec deux autres femmes, elle a été enlevée à Minsk par des hommes en civil, torturée et abandonnée nue dans un petit village située non loin de l'Ukraine, d'où elle a pu demander de l'aide.

L'action semble aller a priori au-delà des revendications féministes avancées par Femen mais Mme Méliane affirme qu'il n'y a pas de contradiction. «Le féminisme ne se réduit pas aux rapports hommes-femmes. C'est toute la question du modèle de société qui est posée», souligne-t-elle.

Les discussions en cours au sein de la section française vont permettre de préciser les revendications, relève la militante, qui aimerait bien voir le modèle français de laïcité s'exporter à l'étranger.

«Nous avons ici une grande liberté. Il y a notamment une culture de la satire religieuse qui est bien établie», relève-t-elle en évoquant les caricatures de Mahomet publiées cette semaine par l'hebdomadaire Charlie Hebdo.

La France constitue dans cette optique une «base arrière» idéale pour Femen, qui n'a pu obtenir de reconnaissance officielle en Ukraine.

Bientôt au Canada?

Le mouvement continue parallèlement d'essaimer, au dire de Mme Méliane, qui se félicite de la formation de groupes au Maroc et en Tunisie, où le recours à la nudité risque de s'avérer particulièrement sensible. L'implantation de camps d'entraînement au Brésil, voire au Canada, est évoquée.

«Femen fait des petits un peu partout, c'est vraiment incroyable. Il y a une urgence qui s'exprime», souligne Mme Méliane, qui dit avoir trouvé un souffle nouveau au contact des activistes ukrainiennes.

Les barrières culturelles et linguistiques ont beau être considérables, «on réussit à surmonter toutes les frontières tant notre conviction est grande», souligne la militante française.

«On peut critiquer le mode d'action, mais on ne peut nier que Femen réussit par ses actions à fédérer un bloc international de féministes qui sont prêtes à travailler ensemble pour faire bouger les choses. C'est énorme», conclut Mme Méliane.

La nudité, pourquoi?

La création d'un centre d'entraînement marque une nouvelle étape dans le développement du mouvement Femen, qui a officiellement vu le jour en 2008 en Ukraine grâce à l'impulsion d'un groupe de jeunes intellectuelles féministes motivées par les écrits de Friedrich Engels et d'August Bebel, un auteur politique allemand ayant plaidé au XIXe siècle pour l'égalité des sexes.

Anne Hutsol, une sociologue de 27 ans décrite dans le quotidien Le Monde comme «une grande théoricienne de l'agit-prop», fait office de chef pour l'organisation tout en récusant le titre.

Dans une entrevue récente au journal, elle affirme avoir appris en travaillant auprès de vedettes du monde des arts qu'une organisation, pour se faire entendre, doit être populaire et capable de «susciter des émotions, de l'excitation».

Femen affirme que le recours à la nudité s'était imposé comme mode d'action après qu'une militante se fut exposée accidentellement lors d'une manifestation. Seule une partie des militantes y a recours.

Le stratagème fait courir les médias de partout, mais suscite des réserves dans les rangs des organisations féministes françaises.

Julie Muret, une des fondatrices d'Osez le féminisme, se félicite de l'arrivée de Femen au pays. Elle pense cependant que le mode d'action favorisé par l'organisation n'est pas approprié, particulièrement «dans une période marquée par le voyeurisme et l'exhibition du corps des femmes».

Les responsables de Femen affirment que les hommes peuvent devenir membres et soutenir leur cause, sans pour autant manifester. L'organisation affiche parallèlement sur le site femen.org l'image d'une femme qui tient une faucille dans une main et des testicules ensanglantés dans l'autre...