Dans le faste des Jeux olympiques de Londres, le lancement cet été de la campagne «Yes Scotland» pour l'indépendance de l'Écosse est passé presque inaperçu. Mais dans les Highlands comme dans le reste de l'Écosse, on sent que le compte à rebours vers le référendum est bel et bien commencé. Incursion dans une contrée en pleine réappropriation culturelle où notre collaboratrice a rencontré l'homme qui porte le rêve calédonien sur ses épaules: le premier ministre indépendantiste, Alex Salmond.

La première chose qu'Alex Salmond ferait si l'Écosse gagnait son indépendance en 2014, serait «d'allumer les feux d'artifice». Le premier ministre indépendantiste sourit de sa propre blague, avant de prendre un air plus sérieux. «Bon, après il faudrait négocier un règlement d'indépendance,» concède-t-il lors d'une rencontre «sur le green» au tournoi de golf, le Scottish Open.

Son lendemain de veille risquerait d'être compliqué. Parmi les maux de tête anticipés, il y aurait notamment le dossier de la dette nationale dont hériterait le nouveau pays et celui de la division des forces militaires, qui irait jusqu'à l'éjection complète de l'arsenal nucléaire britannique en Écosse.

Si ces questions inquiètent Salmond - décrit par l'éditeur politique de la BBC comme «l'opérateur politique le plus futé sur ces îles» -, celui-ci ne le montre pas. «Ce que Westminster dit aujourd'hui sera très différent après l'indépendance, dit-il. Si le vote se conclut en faveur de l'indépendance, leur attitude va changer et ils voudront négocier le meilleur règlement le plus vite possible.

«Ce qu'ils disent maintenant vise à faire peur et à intimider les gens pour qu'ils ne votent pas pour l'indépendance. Mais quand la partie sera jouée, ce sera la fin de toutes les niaiseries, de l'irrationalité, de la bêtise», croit-il.

Pari de longue haleine

Commentaires typiques d'un politicien connu pour sa bonhomie bravache. Qu'on l'aime ou qu'on le déteste, Alex Salmond ne laisse pas indifférent. L'année dernière, il a été couronné politicien de l'année par le magazine The Spectator et Britannique de l'année par The Times, deux publications qui ne sont pas particulièrement connues pour leur sensibilité pro-indépendantistes.

Derrière cette nouvelle popularité, il y a toutefois des décennies de travail acharné, décennies pendant lesquelles Salmond a ressuscité le projet de l'indépendance écossaise, laissé pratiquement pour mort après le référendum de 1979.

Comment ce passionné de courses de chevaux a-t-il remporté ce pari de longue haleine? «Le plus important en politique, c'est d'avoir des convictions, répond-il. C'est de plus en plus rare aujourd'hui. Si tu ne crois en rien, tu finiras par gober n'importe quoi.»

Ces paroles ont une résonance particulière alors que le Royaume-Uni est gouverné par la coalition des Tories de David Cameron et des libéraux démocrates de Nick Clegg, deux partis que Salmond décrit avec mépris comme «de plus en plus interchangeables» et «enfermés dans une alliance contre nature».

Il faut dire qu'avec sa majorité obtenue l'an dernier - un résultat spectaculaire qui lui accordait le mandat de tenir un référendum sur l'indépendance - le maître de Holyrood (le Parlement écossais) est maintenant mieux placé que quiconque pour battre ses opposants unionistes.

Bras de fer

Actuellement, il est engagé dans un bras de fer avec Westminster sur l'organisation du référendum. Alors que Londres veut une tenue rapide du scrutin, Édimbourg souhaite attendre l'automne 2014. Et tandis que Londres prône une seule question appelant une simple réponse par oui ou non, Édimbourg veut inclure une deuxième question concernant des pouvoirs accrus, essentiellement au niveau des impôts, pour le gouvernement écossais.

«Étant donné qu'ils ne voulaient pas de référendum du tout, pour qui se prennent-ils de vouloir en dicter les termes? Leur effronterie est extraordinaire», lance Salmond, outré.

Craint-il que Londres prenne le contrôle de «son» référendum? «Je ne suis pas le moindrement inquiet. Si Westminster essaie de prendre le contrôle, ce serait le sergent recruteur le plus efficace des forces de l'indépendance», répond-il.

Mais pourquoi compliquer l'affaire avec deux questions référendaires? Les détracteurs de Salmond l'accusent de vouloir sauver la face, sachant que l'indépendance totale ne ferait pas l'unanimité. Selon les sondages en effet, seulement le tiers des Écossais souhaiterait une rupture totale avec le Royaume-Uni.

«C'est la volonté du peuple, répond-il, en faisant référence à une consultation publique menée par son gouvernement qui a recueilli 27 000 réponses. Moi, tant que la question de l'indépendance est sur le bulletin de vote, je n'ai pas peur qu'il y ait une autre question.»

Quant aux sondages, il les écarte du revers de la main. «L'important n'est pas le pourcentage de gens en faveur, c'est celui des forces anti-indépendantistes. Ceux qui n'ont pas fait leur idée peuvent encore être convaincus.»

Au pays du whisky en or

Pour beaucoup d'Écossais qui voteront en 2014, la crainte de perdre des emplois et des acquis sociaux tels que les pensions et les soins de santé, sera sans doute un facteur dissuasif. Salmond, un ancien économiste, fait allusion à l'argent dont l'Écosse disposerait si elle empruntait autant, par habitant, que le Royaume-Uni actuellement.

«Est-ce que ce serait la même chose dans 20 ans? Cela dépend de ce qu'on en fait. Mais si nous gérons notre économie sagement et nous nous comportons prudemment, [la situation] sera meilleure. Si nous faisons des erreurs, au moins ce sera nos propres erreurs.»

À la fin de l'entretien, avec un brin d'humour, le politicien fait remarquer que la valeur du whisky, qui est actuellement en train de mûrir dans des barriques en Écosse, excède celle de tout l'or des chambres fortes de la Bank of England. «Peut-être que le whisky devrait être la nouvelle monnaie de réserve mondiale», plaisante-t-il.

Coup sûr?

Dans certains milieux, le vent souffle en sa faveur, surtout dans la bande centrale du pays où la population urbaine est en train de vivre une renaissance culturelle écossaise. «Je crois que dans une ère de forces internationales énormes, les gens trouvent que c'est précieux d'avoir une expression identitaire basée sur une nation», lance Salmond.

Dans tous les cas, celui que les Écossais appellent affectueusement «Wee Eck» (petit Alex), semble sûr de son coup. «Si j'étais un parieur, et je suis un parieur, je conseillerais à vos lecteurs de ne pas miser contre l'indépendance de l'Écosse», conclut-il, sans sourciller. Et, sur ce, il retourne au tournoi de golf.

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Évasif sur le Québec

Franc sur beaucoup de sujets, Salmond reste évasif sur la question du Québec. «L'Écosse n'est pas le Québec et le Québec n'est pas l'Écosse», dit-il. «Évidemment, on essaie d'apprendre de l'expérience internationale. J'ai des connaissances raisonnables sur l'histoire du Québec comme sur l'histoire de l'Irlande et d'autres endroits... Chacun doit trouver sa propre voie, faire ce qui est mieux pour soi sans regarder les autres.»

God Save the Scottish Queen!

Salmond est un monarchiste affirmé. Si l'Écosse gagnait son indépendance, la reine Elizabeth II resterait chef d'État. Ce serait un clin d'oeil à l'époque (1603 et 1707) où l'Écosse et l'Angleterre étaient deux pays souverains se partageant une monarchie. Et puis, ce serait une affirmation de l'union sociale entre les deux pays. «L'indépendance politique ne veut pas dire qu'on doit tourner le dos à l'expérience partagée.»

Photo: Lorraine Mallinder, collaboration spéciale

Le premier ministre écossais Alex Salmond, rencontré au Scottish Open, compte organiser un référendum sur l'indépendance de l'Écosse en 2014.