La récréation est terminée. Après les grandes manifestations de l'opposition qui ont ébranlé son régime de décembre à mai, le président Vladimir Poutine cherche à remettre au pas la société russe. Si les réformes annoncées par son prédécesseur Dmitri Medvedev au plus fort de la contestation ont bel et bien vu le jour, leurs effets ont rapidement été neutralisés par d'autres mesures liberticides. Notre collaborateur à Moscou fait le point.

La «prière punk» avait tout d'une provocation. Le 21 février dernier, cinq jeunes filles entrent dans la cathédrale du Christ-Sauveur, à Moscou, enfilent une cagoule et montent sur l'autel. Durant une trentaine de secondes, elles font une série de génuflexions et de simagrées en chantant «Sainte Vierge, chasse Poutine!», sous la lentille de la caméra d'un complice.

Dans les jours qui suivent, trois d'entre elles sont arrêtées. Les deux autres fuient le pays. Détenues depuis maintenant cinq mois, Maria Aliokhina, Nadejda Tolokonnikova et Ekaterina Samoutsevitch font face à des accusations criminelles de «hooliganisme» et risquent jusqu'à sept ans de prison.

Le premier passage à la présidence de Vladimir Poutine (2000-2008) a été marqué par la condamnation à haute saveur politique de l'oligarque Mikhaïl Khodorkovski. Pour avoir osé financer l'opposition à Poutine, il a perdu son empire pétrolier et croupit derrière les barreaux depuis 2003.

Cette fois-ci, ce sont les trois punkettes du groupe féministe Pussy Riot qui pourraient devenir le symbole d'une liberté d'expression aux contours arbitraires dans la Russie poutinienne.

Selon l'acte d'accusation, elles auraient «insulté» et «infligé des blessures morales profondes à des chrétiens orthodoxes». L'un des 10 plaignants, un gardien de sécurité, a fait savoir qu'il avait de la difficulté à dormir depuis leur concert-éclair.

Les membres de Pussy Riot n'avaient jamais imaginé une réaction aussi dure des autorités, assure Piotr Verzilov, mari de Tolokonnikova. «Ç'a été un choc de voir que le pouvoir pouvait aller jusque-là.» Par le passé, le couple avait organisé plusieurs autres gestes d'éclat et s'en était toujours sorti sans trop de soucis. Ce qui fait dire à l'artiste de performance qu'«une seule personne peut réellement décider du déroulement de cette affaire: Vladimir Vladimirovitch Poutine».

Si le président n'est peut-être pas l'instigateur du procès, il n'a du moins jamais donné le signal pour que les accusations soient abandonnées, raisonne M. Verzilov qui, comme les autres opposants anti-Poutine, ne croit pas à l'indépendance du système judiciaire de son pays.

Plusieurs personnalités du monde de la culture, mais aussi des proches de Vladimir Poutine, ont appelé à la libération des membres de Pussy Riot. Le 20 juillet, la Cour a plutôt annoncé que les jeunes femmes resteraient en détention préventive jusqu'en janvier 2013. Leur procès commencera lundi.

Malgré l'utilisation d'un vocabulaire religieux dans les accusations officielles et les déclarations de l'avocat des plaignants - qui assure que les membres de Pussy Riot ont agi sous les ordres de nul autre que Satan -, Piotr Verzilov ne veut pas croire à une «inquisition».

Certains opposants craignent tout de même que la puissante Église orthodoxe, qui a l'oreille du président, cherche à remettre en cause la laïcité de l'État et du système judiciaire, faisant de ce procès un cas d'espèce.

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Des gains timides pour les partis politiques

En janvier 2007, Vladimir Poutine avait resserré les règles d'enregistrement des partis politiques. Du jour au lendemain, 16 formations ne pouvant se conformer à la loi, qui exigeait au moins 50 000 membres, avaient disparu. Il ne restait plus que sept partis, tous plus ou moins loyaux au Kremlin. Régulièrement, les groupes d'opposition déposaient des demandes, invariablement refusées pour des «raisons techniques». Avec la «libéralisation» du processus, en vigueur depuis avril, seuls 500 membres à l'échelle nationale sont nécessaires pour s'enregistrer. En trois mois à peine, 25 partis ont vu le jour et une dizaine d'autres attendent une réponse du ministère de la Justice. Un bourgeonnement qui ne change rien sur le fond, souligne toutefois le réputé journal économique Vedomosti. «Le Kremlin demeure l'acteur principal sur le marché des partis politiques et peut à tout moment changer les règles du jeu.» Selon le quotidien, si jamais la cote de popularité du parti du pouvoir (Russie unie) s'écroule, il pourra toujours créer de nouveaux partis pour gruger le vote de ses adversaires, puis faire coalition avec eux.

Un «filtre présidentiel» pour le choix des gouverneurs

En 2004, à la suite de la prise d'otages sanglante dans une école de Beslan (334 victimes), Vladimir Poutine avait aboli les élections pour les gouverneurs régionaux, prétextant le besoin de renforcer le pouvoir central afin de lutter contre le terrorisme. Lorsque son successeur Dmitri Medvedev a annoncé le retour au système électif en décembre dernier, Poutine, alors premier ministre, a indiqué qu'il faudrait tout de même lui adjoindre un «filtre présidentiel» afin d'éviter notamment que les mafias locales s'emparent du pouvoir par les urnes. Avant l'entrée en vigueur de la loi le 1er juin, le Kremlin s'est empressé de nommer 21 nouveaux gouverneurs dans des régions stratégiques. Ils bénéficieront ainsi de cinq ans de sursis avant de devoir se frotter aux électeurs. Dans cinq autres régions, le scrutin prévu en octobre aura valeur de test. Le président se réserve le droit d'exclure certains candidats jugés «extrémistes».

La télé, courroie de transmission du discours officiel

Dès son arrivée au pouvoir en 2000, Vladimir Poutine s'était chargé de reprendre le contrôle des ondes télévisuelles, après une décennie de liberté chaotique sous son prédécesseur Boris Eltsine. Rapidement, la satire politique et les bulletins d'information critiques du pouvoir avaient disparu, notamment après le rachat par le géant gazier d'État Gazprom de la chaîne NTV en 2001. Depuis, les chaînes étatiques relayaient le discours officiel, alors que les chaînes privées n'osaient pas risquer de perdre leur licence en critiquant le pouvoir. L'annonce en décembre de la création d'une chaîne publique, sur le modèle de la BBC britannique, a été accueillie avec prudence par les observateurs. La semaine dernière, le directeur nouvellement nommé de la future chaîne, Anatoli Lyssenko, faisait savoir qu'il n'a pas l'intention de faire trop de bruit. Selon ce vieux routier de la télévision soviétique, respecté dans le milieu, la chaîne publique qui sera lancée en janvier prochain n'entend pas jouer dans les plates-bandes des chaînes généralistes pro-Kremlin. Elle s'adressera plutôt à un public intellectuel et visera environ 4% des parts de marché. Pas de quoi fomenter une révolution.

Le spectre de la censure plane sur le web

En 12 ans au pouvoir, Vladimir Poutine ne s'était jamais réellement attaqué au monde virtuel. Il y a deux semaines, la Douma (chambre basse du Parlement) y a remédié. Désormais, les policiers n'auront plus besoin de se tourner vers la justice pour bannir des sites web. La liste noire dépendra de leur bon jugement. Selon ses défenseurs, la loi vise à protéger les enfants en supprimant les pages faisant la promotion des drogues, de la pornographie infantile et du suicide. Ses détracteurs, dont les membres du Conseil présidentiel des droits de l'homme, y voient plutôt «l'introduction de la censure» qui pourrait potentiellement être utilisée contre les forces d'opposition. La veille de l'adoption de la loi, toutes les pages russes de Wikipédia étaient «en grève», et affichaient un message expliquant que cette loi constitue un «danger pour la liberté de savoir».

Le «complot étranger» des ONG

«Nous sommes des agents de l'étranger.» Désormais, c'est ainsi que devront se présenter au public russe les ONG qui reçoivent leur financement de gouvernements ou mécènes de l'extérieur de la Russie. En vertu d'une loi adoptée en juillet, les contrevenants seront passibles d'amendes de 1 million de roubles (31 000$). Le projet a été appuyé par tous les partis représentés au Parlement, communistes compris, qui partagent la rhétorique de Vladimir Poutine voulant que des complots étrangers, fomentés par l'entremise d'ONG occidentales, visent à saper les bases de l'État russe. À la veille des législatives de décembre 2011, les attaques du pouvoir contre Golos, ONG d'observation électorale financée notamment par le Congrès américain, avaient été particulièrement virulentes. Et pour cause. Les violations recensées par les observateurs de Golos avaient fortement contribué à discréditer le processus électoral et à faire sortir des dizaines de milliers de Russes dans les rues.

10 000$ d'amende pour participer à une manif illégale

En Russie, il y a longtemps qu'on ne compte plus le nombre de manifestations déclarées illégales par la police et qui se terminent par des arrestations massives. Les organisateurs doivent informer la mairie une quinzaine de jours à l'avance de leur désir de tenir un rassemblement. Régulièrement, les autorités refusent, ou proposent un lieu loin du centre-ville pour tenir l'événement. Les grandes manifestations qu'a connues la capitale depuis décembre avaient tout d'abord forcé le pouvoir à certains compromis pour ne pas mettre de l'huile sur le feu de la colère populaire. Mais c'est désormais chose du passé. Pour neutraliser les contrevenants, la Douma a fait passer les amendes pour une participation à un rassemblement illégal d'une somme jusque-là symbolique à près de 10 000$ pour les individus et 31 000$ pour les personnes juridiques.

Photo Reuters

En appui aux membres du groupe Pussy Riot, l'artiste Pyotr Pavlensky s'est cousu la bouche pour manifester devant la cathédrale de Kazan, à Saint-Pétersbourg, le 23 juillet.