Le récent jugement d'un tribunal régional allemand condamnant la circoncision pour motif religieux comme une atteinte inacceptable à l'intégrité physique de l'enfant soulève une vive polémique qui dépasse largement les frontières du pays.

Plusieurs organisations confessionnelles ont vivement critiqué la décision, qui est décrite par le Conseil central des juifs d'Allemagne comme une «intrusion dramatique et sans précédent dans le droit à l'autodétermination des communautés religieuses».

«La liberté de religion est très importante dans notre Constitution et ne peut devenir le pion d'un jugement unidimensionnel qui va renforcer les préjudices existants», a souligné de son côté le Conseil central des musulmans.

Les Églises catholique et protestante du pays ont aussi critiqué le verdict, qui a été vivement dénoncé par la Turquie. Le pays, qui compte de nombreux ressortissants en Allemagne, a même proposé d'envoyer des experts en circoncision pour surmonter les résistances de la justice allemande.

«Ce n'est pas possible pour nous d'accepter ce jugement comme un fait accompli... Si Dieu le veut, il sera modifié», a déclaré le ministre turc des Affaires européennes, Egemen Bagis, cité par le quotidien Hurriyet.

Le rapporteur spécial des Nations unies pour la liberté de religion, Heiner Bielefeldt, s'est aussi mis de la partie, qualifiant la décision «d'absurde».

Relevant que le tribunal avait «provoqué de l'irritation» sur la scène internationale, le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, a cherché à apaiser les esprits hier.

L'Allemagne, a-t-il souligné, est «un pays ouvert au monde et tolérant dans lequel la liberté religieuse est bien ancrée et où les traditions comme la circoncision sont considérées comme une expression du pluralisme religieux «.

L'intérêt de l'enfant

L'intervention de la justice allemande découle d'une circoncision pratiquée en novembre 2010 sur un enfant musulman de 4 ans, à la demande de ses parents, dans une clinique de Cologne. Le couple d'origine turque a ramené l'enfant quelques jours plus tard parce qu'il saignait abondamment. La justice allemande a alors ouvert une enquête avant de déposer des accusations contre le praticien.

Le tribunal de première instance a statué que le médecin s'était comporté correctement. La décision a été appuyée par le tribunal de grande instance de Cologne qui l'a blanchi en relevant qu'il avait opéré de bonne foi dans une zone grise du droit. Les juges ont cependant spécifié à cette occasion que la circoncision constituait une atteinte corporelle «irréparable» qui ne pouvait être réclamée par les parents au nom de leur liberté religieuse.

«Cette décision est contraire à l'intérêt de l'enfant qui doit décider plus tard par lui-même de son appartenance religieuse», a noté le tribunal.

Une portée à définir

La portée exacte du jugement sur la pratique de la circoncision en Allemagne demeure à définir, au dire de Martin Böse, professeur de droit à l'Université de Bonn.

«Les autres tribunaux ne sont pas liés par cette décision», commente en entrevue le juriste. Selon lui, seule une décision de la Cour fédérale ou de la Cour constitutionnelle permettra de statuer définitivement sur le fond de l'affaire et de donner une orientation claire à ce sujet pour le personnel médical.

Hier, l'hôpital juif de Berlin, qui réalisait 300 circoncisions par année, a déclaré qu'il suspendait ce type d'intervention «jusqu'à ce que la situation juridique soit clarifiée».

La cause à l'origine du verdict est peu susceptible d'être portée en appel parce que le médecin concerné a été acquitté et que les organisations religieuses qui la dénoncent ne sont pas parties à la cause, note M. Böse.

Certaines de ces organisations demandent à Berlin de légiférer pour garantir la légalité de la circoncision, mais le juriste pense que ce serait une avenue compliquée. Particulièrement au moment où le gouvernement s'apprête à légiférer pour pénaliser plus durement l'excision, dit-il.

Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS) la religion est le «principal facteur déterminant» de la pratique de la circoncision, qui toucherait globalement 30 % des hommes. Elle est «pratiquement universelle» dans plusieurs régions de la planète, incluant l'Afrique du Nord et l'Afrique de l'Ouest.

L'intervention s'est largement répandue au XXe siècle en Europe et en Amérique du Nord en raison de la «perception par la population de ses avantages sanitaires et pour des raisons sociales», relève l'OMS. L'an dernier, des militants de San Francisco, en Californie, ont cherché en vain à la faire interdire par référendum avant d'être déboutés par les tribunaux.