Des dizaines de milliers de personnes ont pris d'assaut les rues de Moscou, hier, pour la première grande manifestation anti-Poutine depuis l'investiture du nouveau président, le 7 mai. Depuis le mois de décembre, le mot d'ordre des manifestants reste le même: «La Russie sans Poutine».

Pas moins de 15 000 membres des forces de l'ordre ont entouré le cortège, mais ils n'ont procédé à aucune arrestation pendant la marche. Mais le pouvoir a durci le ton devant les leaders de l'opposition, chez qui on a perquisitionné et qu'on a interrogés quelques heures avant le début de la «Marche des millions».

Convoqué par les autorités, Sergueï Oudaltsov, leader du Front de gauche, a préféré assister à la manifestation, avant de se rendre au comité d'enquête. Tania Tokshina, directrice du bureau moscovite de Human Rights Watch, répond à trois questions sur les manifestations.

Q Quelle est l'importance de cette Marche des millions?

R Il y a des manifestations depuis le mois de décembre. Celle-ci en est une parmi d'autres, mais des milliers de personnes s'élèvent contre les mesures du gouvernement, contre les actions de terreur. Ce que j'observe depuis l'an dernier, c'est que la population russe est prête à prendre la rue pour exprimer son opposition, haut et fort. En même temps, le harcèlement actuel de Poutine contre les critiques a été intensifié, tout comme les restrictions imposées sur les manifestations. Tout cela réduit beaucoup les possibilités d'un discours libre.

Q Il n'y a eu aucune arrestation aujourd'hui (hier), mais vous observez un durcissement du pouvoir à l'égard de l'opposition?

R Il n'y a eu aucune arrestation, mais il y a eu des perquisitions et plusieurs interrogations. L'un des motifs, c'est d'interroger les témoins de la manifestation du 6 mai. Certains d'entre eux ont été reconnus comme des leaders de l'opposition, et ont été convoqués pour un interrogatoire ce matin [hier], à 11h! C'est moins d'une heure avant le début de la manifestation. C'est non seulement cynique, mais c'est complètement inacceptable. C'est vraiment une façon de museler et de décapiter l'opposition. L'un d'entre eux, Sergueï Oudaltsov, a fait une apparition au rassemblement avant de répondre à sa convocation. Il a clairement dit qu'il devait être là, qu'il devait le faire au nom de ses principes. Mais cela risque de le pénaliser sérieusement.

Q Vous le soulignez. C'est la première fois, depuis une décennie, que l'on assiste à un tel soulèvement populaire en Russie. Comment voyez-vous la situation évoluer?

R Malheureusement, c'est difficile à prévoir. Personne ne peut dire à quoi ressemblera la situation politique, ne serait-ce que dans six mois. Tout va dépendre de l'engagement de l'opposition, des personnes dans le mouvement des manifestations et de leur capacité à résister aux autorités.

UN POUVOIR À «DOUBLE VISAGE»



Réprimer ou tolérer les manifestations. L'attitude du président Vladimir Poutine et du premier ministre Dmitri Medvedev oscille entre ces deux visages, selon Jacques Lévesque, professeur au département de sciences politiques de l'UQAM et expert de la Russie.

Si Poutine est prêt à montrer des signes d'ouverture et de démocratisation, pour préserver une image de respectabilité auprès de ses alliés européens, il n'en surveille pas moins l'ampleur des manifestations. «Où les manifestations vont-elles s'arrêter? C'est la grande question.

C'est ce qui inquiète Poutine. Mais si les manifestations prennent de l'ampleur, je crains que l'on ne voie la face répressive du régime», dit M. Lévesque.