La défaite cuisante des deux partis traditionnels grecs dimanche est due à la brutale chute du niveau de vie des Grecs depuis deux ans, la sortie de l'impasse politique passant par un assouplissement des conditions posées par la zone euro, selon les analystes.

Dominant le système politique grec depuis 1974, le parti socialiste Pasok et la Nouvelle Démocratie (droite), usés par le clientélisme et la corruption, ont subi «un effondrement historique» lors du scrutin de dimanche, ouvrant la voie à l'entrée au parlement de trois nouveaux partis, dont le néonazi Chyrssi Avghi.

«Les résultats de dimanche ont été une grande surprise, l'effondrement du système politique bipolaire est la preuve d'un discrédit de la classe politique dominante qui avait commencé avant la crise», déclare à l'AFP Vassiliki Géorgiadou, enseignant de sciences politiques à l'Université Pantion d'Athènes.

Des sondages effectués depuis 2007 avaient montré «la confiance réduite» dont bénéficiaient ces deux partis et «la perte de leur légitimation» en raison d'un système électoral de «proportionnelle renforcée» qui favorise le premier parti de manière démesurée, souligne Mme Georgiadou.

Avec ce système, une prime de 40 puis maintenant 50 sièges est accordée au parti arrivé en tête, qui peut ainsi former un gouvernement soutenu au parlement même s'il n'a rassemblé qu'entre 35 et 40% des voix au départ. Cela conduit à «un jeu politique biaisé», selon l'universitaire.

Pasok et ND n'ont obtenu ensemble que 32% lors des législatives de dimanche contre 77% lors des précédentes élections en 2009, ce qui montre que seulement un électeur sur trois a voté pour eux, note Thomas Gérakis, dirigeant de l'institut de sondage Marc.

En revanche, les petits partis anti-austérité ont vu leur score s'envoler à 48,7%.

«À cela s'ajoute que les partis qui n'ont pas réussi à atteindre le seuil nécessaire de 3% pour entrer au parlement représentent 19% des voix exprimées, donc près d'un électeur sur cinq n'est pas représenté», dit M. Gérakis.

Si l'on tient compte de la «corruption et du clientélisme, problèmes endémiques du pays, qui ont créé un système de protection et d'impunité pour les hommes politiques», «la crise qui a frappé le niveau de vie de la classe moyenne a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase», dit Mme Georgiadou.

Mais ce rejet total du système politique exprimé par ce scrutin risque de provoquer «le chaos» dans le pays, toujours en fonction de prêts internationaux pour éviter la faillite et une sortie forcée de l'euro, met en garde le politologue Thanassis Diamantopoulos.

Après des coupes drastiques de revenus les deux dernières années, qui ont porté un coup fatal à la consommation, pilier de l'économie grecque basée principalement sur le secteur des services, la Grèce est plongée dans sa cinquième année de récession avec un chômage doublé en deux ans, à 21% actuellement.

«Le vote de colère sert d'exutoire à l'opinion publique» après des «années d'une gestion pitoyable des finances publiques et d'une mentalité de clientélisme qui a nourri la société grecque, mais malheureusement je ne vois pas d'issue facile de ce chaos», ajoute-t-il.

Renoncer au «fantasme» allemand de «prospérité dans la douleur»

Le chef de la droite Antonis Samaras, dont le parti est arrivé en tête du scrutin dimanche avec 18,8% de voix, dispose désormais de trois jours pour tenter de former un gouvernement de coalition, comme le stipule la constitution.

La tâche est redoutable: il n'a cessé de répéter pendant la campagne qu'il souhaitait gouverner «seul» avant de finalement appeler à la formation d'un «gouvernement de salut national» dimanche soir.

Pour M. Gérakis, «l'ère des gouvernements à un seul parti est révolue», la Grèce étant désormais «contrainte d'apprendre à former des gouvernements de coalition en période de crise».

Rappelant les engagements de la Grèce à poursuivre l'assainissement de son économie pour pouvoir continuer de bénéficier des versements des prêts européens, Mme Géorgiadou insiste sur le besoin d'un «gouvernement d'unité le plus tôt possible» afin d'arriver à «répondre à ses engagements».

«Les Grecs continuent d'être europhiles à 57% (...), le résultat des élections grecques et françaises est un message pour l'Europe pour moins d'austérité et surtout pour l'Allemagne, qui doit étudier maintenant la demande de la Grèce en faveur d'un prolongement de la période d'ajustement budgétaire, à trois ans au lieu de deux actuellement», dit Mme Géorgiadou.

Même son de cloche chez le Prix Nobel d'économie Paul Krugman qui écrivait dimanche sur le site de l'International Herald Tribune que les Allemands devaient renoncer à leur «fantasme» de «prospérité dans la douleur» qui débouche sur un «échec» pour les pays du sud de l'Europe, dont la Grèce.

«Il semble qu'ils (les Allemands) n'aient plus un soutien inconditionnel au palais de l'Élysée, ce qui, que vous le croyiez ou non, signifie que l'euro et le projet européen ont maintenant une meilleure chance de survie qu'il y a quelques jours», écrit-il.

Coalition: refus de la gauche radicale

Le chef de la gauche radicale Syriza, Alexis Tsipras, a refusé lundi toute alliance avec les conservateurs de la Nouvelle Démocratie qui cherchent à former un gouvernement de coalition après être arrivés en tête aux élections de dimanche.

«Il ne peut pas y avoir un gouvernement de salut national avec la droite qui a signé des mesures de rigueur (...), que le peuple a rejetées» au scrutin de dimanche, a déclaré M. Tsipras à l'issue d'un entretien avec Antonis Samaras, chef de la Nouvelle Démocratie, premier du scrutin avec 18,85% des suffrages, mais sans majorité.

Alexis Tsipras a assuré qu'il était lui-même prêt à chercher une alliance gouvernementale avec les «pouvoirs de gauche» anti-rigueur.

M. Samaras a été chargé lundi par le chef de l'Etat Carolos Papoulias de former un gouvernement de coalition, comme le stipule la Constitution. Il a trois jours pour s'acquitter de cette mission plus que délicate après des élections qui ont donné la majorité des 300 sièges du Parlement à des formations opposées aux politiques de rigueur imposées à la Grèce depuis 2010.

S'il ne réusit pas à constituer des alliances, c'est le chef du deuxième parti, Alexis Tsipras, qui reprendra pour trois jours la mission de constituer un exécutif.

Antonis Samaras a également entrepris des négociations avec le chef du Pasok socialiste, Evangelos Vénizélos, au score historiquement bas de 13,18% des voix qui en fait le troisième parti.

Ce dernier a affirmé qu'il était prêt à participer à un gouvernement de coalition avec «tous les partis pro-européens, le Syriza et la Gauche démocratique pour trouver une solution».

La Gauche démocratique (Dimar), un parti pro-européen plus modéré que le Syriza, a obtenu 6,10% des suffrages et fait son entrée au Parlement.

M. Vénézilos a également prôné le recours à une «personnalité de consensus» reflétant la tendance anti-austérité du résultat des élections pour diriger le gouvernement.

«Puisque le thème central des discussions est l'orientation européenne du pays et son maintien dans l'euro, il faut négocier les mesures de rigueur dictées par l'Europe et demander un délai de trois ans au lieu de deux pour l'ajustement budgétaire du pays», a-t-il déclaré.