Ce sont des élections d'un genre nouveau. Pour la première fois, les Français installés à l'étranger éliront 11 députés pour les représenter à Paris. C'est aussi une campagne inédite: au Canada, où les autorités se sont exprimées contre ce scrutin qui compromettrait sa souveraineté, les candidats à la députation doivent charmer près de 70 000 électeurs qui, parfois, ont perdu contact avec la politique de leur pays d'origine. Sans affiches ni panneaux.

La circonscription qui englobe le Canada et les États-Unis a la taille d'un continent: l'Amérique du Nord.

Julien Balkany la sillonne depuis sa déclaration de candidature. De Québec à Seattle en passant par Montréal, New York, Miami, Chicago, Los Angeles, Seattle ou Vancouver. Mais le jeune homme de 30 ans, qui vit à New York depuis huit ans, a le sentiment de mener une campagne plus «pédagogique» qu'électorale.

«Je suis allé à la rencontre d'un maximum de gens. Beaucoup de Français ont coupé les liens avec la France, et ils ne savent pas quel sera le rôle du député», estime celui qui, sans faire mystère de ses sympathies pour la «majorité présidentielle», s'est lancé dans la course sans affiliation partisane.

Demi-frère d'un des proches de Nicolas Sarkozy, le jeune homme croit en ses chances face aux candidats investis par les grands partis: le ticket Corinne Narassiguin et Cyrille Giraud, pour le Parti socialiste (PS) et Europe-Ecologie, et Carole Granade pour le parti de centre droit, le Modem. Le Front national, qui avait promis de se joindre à la bataille, n'a pas encore de candidat.

«C'est plus apolitique qu'en France. Les gens sont moins béni-oui-oui. Mais c'est une première, et ça peut réserver des surprises, croit Julien Balkany. Cette circonscription n'est pas un fief, on ne l'hérite de personne.»

Promise dans un premier temps à Christine Lagarde, la candidature UMP de la circonscription Amérique du Nord a été confiée à l'actuel secrétaire d'État au commerce, Frédéric Lefebvre. À gauche comme à droite, ce parachutage fait grincer des dents. Nous avons tenté de contacter la section UMP du Québec, sans succès.

Une nouvelle voix

Les 11 nouveaux députés feront en juillet leur rentrée sur les bancs de l'Assemblée nationale. C'est une première, mais ces nouveaux venus ne risquent pas de jouer les trouble-fête auprès de 577 autres élus de l'Assemblée.

Malgré tout, ils amèneront un «nouveau regard» dans l'hémicycle.

«Il y a 2 millions de Français à l'étranger, c'est une chance pour eux de se faire entendre. Mais on représentera aussi tous les Français. Ce qui est intéressant, c'est d'amener des idées neuves», estime Carole Granade, qui après 15 années passées à San Francisco, vient de se s'installer à Lyon.

La mentalité des Français de l'étranger est «différente» de celle de leurs compatriotes, croit elle aussi la socialiste Corinne Narassinguin, 37 ans, ingénieure en gestion du risque qui vit à New York depuis 15 ans.

«On apporte un regard différent. Quand on voit ce qu'il se passe dans la culture de l'étranger, on se rend mieux compte de ce qui fonctionne et qui ne fonctionne pas.»

«Apolitiques»

De fait, les enjeux défendus par les trois candidats interviewés par La Presse semblent assez voisins: l'accès à l'éducation en français et à la protection sociale - un enjeu, on le devine, plus fort aux États-Unis qu'ici -, et l'aide à l'expatriation. Le Modem insiste sur l'aide aux entreprises, et le PS, sur l'immigration et les questions sociales.

Julien Balkany, qui travaille dans la finance new-yorkaise, espère aussi profiter de son éventuel mandat pour «revaloriser» l'image des Français de l'étranger, qui, croit-il, sont souvent perçus comme des «parias» qui ont choisi l'étranger pour ne «pas payer d'impôts».

Mais, unanimement, les candidats de droite, de centre et de gauche, rejettent l'idée récemment exprimée à l'UMP d'interdire la double nationalité.

Ce premier scrutin comporte également sa part d'inconnus, dont le taux de participation, notamment en raison des difficultés que pourraient avoir les Français du Canada à voter. Ottawa refuse d'être inclus dans une circonscription et s'oppose à la tenue d'un scrutin étranger sur son territoire.

De passage récemment à Montréal, Carole Granade et Corinne Narassiguin ont d'ailleurs opté pour des rassemblements modestes, dans des cafés.