Faute d'être mis en cause par leur propre pays, les officiels américains responsables des dérives survenues à la prison de Guantánamo, à Cuba, pourraient devoir rendre des comptes devant les tribunaux européens.

Plusieurs ex-détenus ont intenté des recours à leur retour dans leur pays natal, ce qui fait monter progressivement la pression sur l'administration du président Barack Obama.

La plus récente initiative vient de la France. Une juge chargée d'enquêter sur des plaintes d'enlèvement, de séquestration abusive et de torture portées par trois ex-détenus français demande aux États-Unis l'autorisation de se rendre sur place pour enquêter.

Dans sa requête, divulguée par l'Agence France-Presse, la juge Sophie Clément affirme notamment qu'elle souhaite «identifier et entendre toutes les personnes ayant été en contact» avec les trois plaignants et établir «les fondements et les modalités» des opérations qui ont mené à leur arrestation, à leur transfert et à leur détention.

L'un des avocats au dossier, Philippe Meilhac, s'est réjoui hier de la démarche de la magistrate. Elle constitue selon lui une étape importante pour «faire la vérité» sur ce qui s'est passé dans la prison et dans la hiérarchie administrative.

«On espère que d'autres juges dans d'autres pays européens vont lancer des démarches similaires pour lui donner encore plus de poids», a dit Me Meilhac, dont le client a été détenu pendant plus de trois ans à Guantánamo «sans aucune procédure».

Le président d'honneur de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme, Patrick Baudouin, estime que la démarche de la juge paraît «pleinement fondée» sur le plan juridique.

Il est cependant loin d'être évident, reconnaît-il, que les États-Unis donneront suite à la requête française. «S'ils refusent d'obtempérer, ils seront en rupture avec les obligations prévues par les conventions internationales», relève le spécialiste.

Un refus n'aura rien d'étonnant, ajoute M. Baudouin, puisque le gouvernement américain «ne s'est pas gêné» pour faire de Guantánamo une «zone de non-droit absolu», «la négation de toutes les valeurs sur lesquelles repose la démocratie».

En Espagne aussi

La justice espagnole s'intéresse aussi de près à la prison américaine, qui demeure opérationnelle bien que Barack Obama ait promis de la fermer peu après son arrivée en poste.

Le tribunal de l'Audience nationale a relancé vendredi une enquête sur des accusations de torture portées par quatre ressortissants espagnols qui ont été détenus sur la base militaire pendant plusieurs années.

La poursuite vise notamment l'ex-vice-président américain Dick Cheney et l'ancien secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, en raison de leur rôle dans l'introduction de pratiques d'interrogatoire abusives.

Par crainte d'être arrêtés, plusieurs membres haut placés de l'ancienne administration américaine, dont l'ex-président George W. Bush, ont annulé ou écourté des déplacements en Europe dans les dernières années.

Human Rights Watch a demandé en vain à plusieurs reprises au président Barack Obama d'ordonner une enquête sur les responsabilités de ses prédécesseurs relativement à Guantánamo et au recours à des techniques d'interrogatoire musclées.

L'organisme estime que l'attitude de Washington justifie l'intervention d'autres États signataires de la convention internationale contre la torture, qui ont le «devoir» de procéder lorsque le pays concerné tarde à agir.