La justice italienne a décidé mardi d'assigner à résidence le capitaine du Costa Concordia, en prison à Grosseto pour avoir provoqué le naufrage de son navire, qui a fait au moins onze morts et une vingtaine de disparus.

Poursuivi pour homicides multiples par imprudence, naufrage et abandon du navire, Francesco Schettino avait été écroué samedi sur ordre du procureur en chef de Grosseto, Francesco Verusio, qui avait dit craindre «un risque de fuite et de dissimulation de preuves».

Selon les médias, celui que le Corriere della Sera surnomme «l'homme le plus détesté d'Italie» devrait sortir mercredi matin de la prison de cette ville.

Sur place, des policiers sortant de l'établissement pénitentiaire ont assuré à la cinquantaine de journalistes massés à sa porte que le commandant avait déjà quitté la prison, ce qui n'a pas pu être confirmé de source officielle.

Au cours de son audition pendant trois heures mardi devant une juge des enquêtes préliminaires, le commandant a «donné ses explications», notamment sur le retard mis à donner l'alerte après la collision du navire avec un rocher à moins de 500 mètres de la côte de l'île du Giglio (centre-ouest), a expliqué son avocat, Me Bruno Leporatti.

Selon ce dernier, le capitaine a aussi catégoriquement démenti avoir abandonné le navire avant l'évacuation des derniers passagers et affirmé avoir «sauvé des milliers de vie» en effectuant une manoeuvre pour ramener le navire vers la côte. Il aurait également expliqué être tombé à l'eau ce qui l'aurait empêcher de se trouver à bord pour organiser les secours.

Pour leur part, les magistrats-enquêteurs du parquet avaient demandé son maintien en détention. Dans la soirée, le procureur Francesco Verusio a affirmé «ne pas comprendre» la décision de le libérer.

Car les charges contre le commandant Schettino, décrit par des témoins comme «trop exubérant et casse-cou», sont écrasantes.

L'enregistrement d'une de ses conversations avec la capitainerie du port au moment de la catastrophe est accablant. D'un ton faible et hésitant, il fait d'abord croire à son interlocuteur qu'il est à bord alors qu'il a déjà quitté le navire, puis refuse de remonter.

«Remontez à bord, bordel de merde», lui intime un moment Gregorio De Falco, de la capitainerie du port de Livourne, visiblement exaspéré et scandalisé. La phrase, largement reprise sur internet, a fait école, au point qu'un petit malin en a déjà fait un tee-shirt «vada a bordo, CAZZO».

Le commandant Schettino est aussi accusé d'avoir tardé à ordonner l'évacuation, déclenchant selon l'enquête des garde-côtes une «mini-mutinerie» de l'équipage qui a démarré les opérations d'évacuation sans que le commandant ait formellement décrété «l'abandon du navire». Alors que le navire penchait, ils ont commencé à préparer les chaloupes sans attendre les consignes de leur chef.

Enfin, le capitaine est accusé par sa propre compagnie d'avoir lui-même dévié la trajectoire du bateau pour effectuer une parade, tous phares allumés, à proximité de l'île.

Selon des sources proches de l'enquête, il sera soumis à des analyses pour vérifier s'il a absorbé des stupéfiants ou d'autres substances toxiques la nuit du naufrage.

Dans leurs recherches désespérées pour retrouver les disparus du naufrage du Costa Concordia, sauveteurs et plongeurs ont découvert cinq nouveaux cadavres, portant le bilan provisoire à onze morts.

Les corps se trouvaient dans la partie immergée de la poupe, à proximité du restaurant.

Selon un dernier décompte officiel en Italie, 28 personnes manquent toujours à l'appel, les autorités ayant retrouvé la trace d'un Allemand rescapé mais qui n'avait pas été enregistré. Il s'agirait de 13 Allemands, six Italiens, quatre Français, deux Américains, un Hongrois, un Péruvien et un Indien. Parmi elles, figurent sans doute les corps retrouvés sur le bateau mais ils n'ont pas été identifiés.

Une soixantaine de personnes ont été blessées.

Des plongeurs-spéléologues hautement spécialisés ont été autorisés à poursuivre les recherches durant la nuit dans la partie immergée du bateau.

Pour accélérer leur progression dans l'épave, les plongeurs ont utilisé mardi des micros-charges explosives et percé ainsi sept trous dans la coque.

«Munis de plans du navire, ils se déplacent pour mettre les charges afin d'ouvrir des passages permettant de passer plus rapidement», explique le commandant Filippo Marini, un autre porte-parole des garde-côtes.

Les scaphandriers se concentrent sur la partie immergée, à proximité des chaloupes de sauvetage, dans l'espoir très ténu de trouver des personnes qui n'auraient pas pu monter dans les embarcations, a expliqué Cosimo Nicastro, un porte-parole des garde-côtes.

Plus de 70 passagers du Costa Concordia ont adhéré à une action collective contre Costa Crociere lancée par l'association italienne de défense des consommateurs Codacons.

En France, l'avocat d'un couple a annoncé le dépôt d'une plainte contre le groupe italien. Ses clients, Patrice et Tatiana Vecchi, ont lancé un collectif de victimes qui devrait réunir une centaine de noms.

Le patron de la société Costa Concordia, Pier Luigi Foschi, s'est rendu sur place. «J'ai la voix brisée par le coeur, la tragédie est de grande ampleur et elle a frappé une entreprise qui a toujours fait attention à la sécurité», a-t-il dit.

Pour lui, «l'urgence n'est pas terminée, nous devons nous occuper de la pollution et enlever ce géant».

Car tout le monde redoute aujourd'hui un «désastre écologique» si le carburant --du gazole dense et lourd-- se déversait dans la mer. Le ministre de l'Environnement Corrado Clini estime le risque de marée noire «élevé».

La France a proposé à l'Italie son expertise pour faire face au risque de marée noire.

La société Smit Salvage, filiale du groupe de dragage et d'aménagement portuaire Royal Boskalis Westminster, a été chargée par Costa Crociere de pomper les quelque 2400 tonnes de carburant. Une vingtaine d'employés de la société sont déjà à pied d'oeuvre mais le pompage du carburant devrait prendre «au moins trois semaines», a averti le directeur exécutif de Royal Boskalis.

Le ministre a confirmé le risque que l'épave glisse vers les profondeurs. Cela peut arriver, a-t-il dit, sans abîmer les réservoirs, et le pompage serait possible. Mais le vrai danger, a-t-il expliqué, est que les réservoirs se brisent.

Le Concordia qui transportait 4229 personnes --quelque 3200 touristes et un millier de membres d'équipage-- a fait naufrage vendredi soir après avoir heurté un rocher.

Parmi les survivants, Valentina Capuano, 30 ans, s'est remémorée les récits de sa grand-mère Maria, elle-même rescapée... du naufrage du Titanic, il y a un siècle. «Cela a été comme revivre cette histoire, ça a été terrible», a-t-elle confié à des journalistes italiens.