Le président français Nicolas Sarkozy a été cité par un témoin dans l'enquête sur un circuit de commissions sur des ventes d'armes au Pakistan dans les années 1990, une affaire mêlant un attentat à Karachi à des soupçons de financement politique illicite, selon le journal Libération lundi.

À quatre mois du premier tour de l'élection présidentielle, l'équipe de campagne du prétendant socialiste François Hollande a demandé que le rôle du chef de l'État français, qui doit officialiser sa candidature en février, soit clarifié.

«Il est temps que le président, je l'exige, s'explique sur cette affaire d'État», a déclaré Manuel Valls, l'un des plus proches collaborateurs de François Hollande.

La candidate écologiste et ancienne juge Eva Joly a estimé quant à elle «nécessaire et inéluctable» que Nicolas Sarkozy «soit entendu par la justice».

Selon Libération, un ancien haut fonctionnaire a confirmé en décembre au juge qui enquête sur cette «affaire Karachi» que Nicolas Sarkozy, ministre du Budget en 1994, avait validé la création d'une société luxembourgeoise servant à payer des intermédiaires dans des contrats d'armement.

Le journal s'appuie sur un procès-verbal d'audition du 2 décembre de Gérard-Philippe Menayas, ancien haut fonctionnaire du ministère de la Défense et ex-directeur de la branche internationale de la Direction des constructions navales (DCNI) qui a vendu en 1994 des sous-marins au Pakistan.

M. Menayas est alors interrogé sur la création en 1994 au Luxembourg de la société Heine, utilisée par la DCNI pour verser des commissions -qui seront légales jusqu'en 2000- à des intermédiaires dans des contrats d'armement.

«Il est clair que le ministère du Budget a nécessairement donné son accord pour la création de Heine (...) Vu l'importance du sujet, cette décision ne pouvait être prise qu'au niveau du cabinet du ministre», a-t-il déclaré.

Dans cette affaire complexe, le juge veut savoir si des commissions, versées en marge de contrats conclus en 1994 avec le Pakistan (sous-marins Agosta) et l'Arabie saoudite (frégates Sawari II), ont donné lieu à des rétrocommissions (illégales) qui auraient financé la campagne présidentielle de l'ex-premier ministre Édouard Balladur en 1995.

Une partie des sommes versées pour l'obtention des contrats serait ainsi revenue en France pour alimenter les comptes de la campagne Balladur, dont Nicolas Sarkozy était le porte-parole, parallèlement à ses fonctions ministérielles.

Lundi soir, l'ancien ministre de la Défense de Nicolas Sarkozy, le centriste Hervé Morin, a «officiellement» demandé le versement des comptes de la campagne présidentielle d'Édouard Balladur au dossier d'instruction de l'affaire Karachi.

«Je trouve incroyable que l'on puisse accepter que le Conseil constitutionnel n'ouvre pas les comptes d'Édouard Balladur», a-t-il dit.

Ce dossier des rétrocommissions pakistanaises est d'autant plus sensible que la justice se demande s'il n'est pas à lié à un attentat en mai 2002 à Karachi, dans lequel 15 personnes, dont 11 Français, ont été tuées. Selon cette thèse, ce serait l'arrêt à partir de 1995 du versement des commissions qui aurait déclenché des représailles et serait à l'origine de l'attentat.

Un rapport de la police luxembourgeoise de janvier 2010 avait déjà mis au jour le fait que Nicolas Sarkozy avait donné son accord à la création de Heine.

Nicolas Sarkozy a démenti à plusieurs reprises avoir eu le moindre rôle dans cette affaire.

Deux de ses proches, Thierry Gaubert et Nicolas Bazire, y ont été inculpés, de même qu'un ancien ministre, Renaud Donnedieu de Vabres.