La Turquie a annoncé jeudi le gel de sa coopération politique et militaire avec la France qu'elle accuse de «racisme» et de «xénophobie» après l'adoption par les députés français d'une proposition de loi pénalisant la négation du génocide arménien de 1915.

Le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a ordonné la suspension des visites bilatérales, le rappel pour consultations de l'ambassadeur de Turquie en France et ajouté que «les exercices militaires conjoints avec la France et toutes les activités militaires avec ce pays avaient été annulés» pour protester contre l'adoption de ce projet.

Interrogé à Bordeaux (sud-ouest de la France), le chef de la diplomatie française Alain Juppé a appelé la Turquie à ne pas «surréagir».

«Ce que je souhaite, c'est que nos amis turcs ne surréagissent pas à cette décision de l'Assemblée nationale française», a déclaré M. Juppé à des journalistes.

Interrogé sur d'éventuelles nouvelles mesures de représailles d'Ankara, le ministre des Affaires étrangères a répondu: «nous verrons bien et je souhaite qu'on en reste là, si possible».

«Les relations entre la France et la Turquie sont des relations étroites et multiples dans beaucoup de domaines et nous avons beaucoup de choses à faire ensemble», a-t-il ajouté, prenant «acte» par ailleurs du rappel de l'ambassadeur turc à Paris.

Selon M. Erdogan, la Turquie décidera désormais au cas par cas pour toute demande militaire française d'utiliser son espace aérien et «rejette dorénavant toute demande française pour ses bâtiments de guerre de visiter les ports turcs», a souligné le chef du gouvernement turc.

Ce dernier a expliqué qu'il s'agissait là d'un premier train de sanctions contre la France, alliée de la Turquie au sein de l'OTAN, et que «progressivement» d'autres mesures pourraient être mises en oeuvre.

«Nous révisons nos relations avec la France», a déclaré M. Erdogan qui a expliqué que la Turquie ne participerait pas à un comité économique mixte France-Turquie prévu en janvier à Paris et annulait des projets de jumelages avec la France au sein de l'Union européenne (UE).

La Turquie met aussi fin aux consultations politiques avec la France, a dit M. Erdogan.

Les deux pays avaient noué un dialogue étroit sur des dossiers régionaux, notamment la Syrie.

«Malheureusement cette proposition de loi a été adoptée malgré tous nos avertissements (...) Cela va ouvrir des plaies irréparables et très profondes dans les relations bilatérales», a-t-il dit.

M. Erdogan a fustigé une «politique (de la France) basée sur le racisme, la discrimination et la xénophobie».

Il s'en est particulièrement pris au président français Nicolas Sarkozy, l'accusant d'avoir instrumentalisé le génocide arménien à des fins électoralistes, à l'orée de la présidentielle en France en 2012.

«L'Histoire et les peuples ne pardonneront pas à ceux qui exploitent les faits historiques à des fins politiques», a estimé M. Erdogan, qui s'est en revanche abstenu d'annoncer des sanctions commerciales contre la France, important partenaire économique de son pays.

Le volume bilatéral des échanges s'est chiffré à près de 12 milliards d'euros (16 milliards de dollars) en 2010.

Malgré les nombreux avertissements d'Ankara qui a dépêché plusieurs délégations à Paris, les députés français ont voté jeudi une proposition de loi pénalisant d'un an de prison et 45 000 euros (60 000 $) d'amende la négation d'un génocide reconnu par la loi, comme l'est depuis 2001 en France le génocide arménien de 1915, qui a fait 1,5 million de morts, selon les Arméniens.

Le texte a été approuvé à main levée par une très large majorité de la cinquantaine de députés présents, une demi-douzaine votant contre, alors que plusieurs milliers de manifestants dénonçaient cette législation aux abords de l'Assemblée nationale.

La Turquie reconnaît que jusqu'à 500 000 Arméniens sont morts pendant des combats et leur déportation, mais non pas par une volonté d'extermination.

L'Arménie a salué le vote des députés français. Le ministre arménien des Affaires étrangères Édouard Nalbandian a exprimé «la gratitude» de son pays. La France «en adoptant cette loi a prouvé de nouveau qu'il n'y avait pas de prescription pour les crimes contre l'humanité et que les nier devait être puni», a-t-il dit à l'AFP.

Pour entrer en vigueur, la proposition de loi devra cependant aussi être adoptée par le Sénat, ce qui pourrait prendre plusieurs mois.